Les Inrockuptibles

Grands fauves au régime

De ce TARTUFFE avec Pierre Arditi et Jacques Weber, on pouvait craindre qu’il ne donne lieu à un duel de bêtes de scène. On assiste surtout à une éblouissan­te leçon de dramaturgi­e signée Peter Stein.

- Patrick Sourd

MANIÈRE DE NOUS INVITER À ENTRER DANS LA DANSE sans plus attendre, c’est par un bal masqué que Peter Stein a décidé d’ouvrir Le Tartuffe, comme on fait sauter le bouchon d’un magnum de champagne hors d’âge. Ses convives font la fête sur une bandeson qui se réclame des partitions du Grand Siècle tout autant que des rythmes des danses de salon et de quelques effluves pop. Derrière cette carte blanche offerte au DJ, Peter Stein met en perspectiv­e d’une façon saisissant­e une oeuvre dont le propos n’a cessé d’être instrument­alisé au service des causes défendues par les metteurs en scène qui l’ont montée depuis des décennies.

Avec ce court prologue sans paroles, il balaie d’emblée l’idée reçue qu’il faudrait absolument faire quelque chose de la pièce pour la jouer au présent. Cet éloge de Molière se nourrit d’une exquise attention à faire entendre les moindres inflexions de son écriture en se contentant d’éclairer les remous d’un drame familial où un faux dévot tente de capter un héritage.

Ouverte sur un pan d’une grande baie qui s’éclaire comme un monochrome versatile au fil de l’action, la maison d’Orgon déploie la lisse blancheur de ses courbes architectu­rales sur deux niveaux reliés par un escalier d’apparat. Ne se réclamant d’aucune époque, les costumes s’amusent à les parcourir toutes. Avec la précision d’une oeuvre peinte, le beau vestiaire, signé Anna Maria Heinreich, dessine le caractère de chaque personnage en fonction des déclinaiso­ns d’un simple code couleur.

On l’aura compris, Peter Stein et son équipe visent à l’épure. Reste à éviter le numéro de domptage version cage aux fauves en réussissan­t à gérer une distributi­on d’exception où chacun pourrait facilement être tenté de tirer la couverture à soi. Avec Pierre Arditi (Tartuffe), Jacques Weber (Orgon), Isabelle Gélinas (Elmire), Manon Combes (Dorine) et Catherine Ferran (Madame Pernelle) pour ne citer que les rôles principaux, le metteur en scène réussit le tour de force de canaliser la puissance du talent de chacun au service d’une humilité qui amène les uns et les autres à une formidable transparen­ce dans le jeu.

Climax de la pièce, la fameuse scène de la table – où Tartuffe abuse de la femme d’Orgon alors qu’ils ne sont séparés que par l’épaisseur d’une nappe –, est un fastueux moment de théâtre que l’on n’est pas prêt d’oublier. Ramené à l’os de son intrigue, Molière rutile de tous ses feux et chaque acte ouvre aux bonheurs de la découverte de territoire­s où l’on s’aventure à la suite des acteurs comme si on les parcourait pour la première fois.

Le Tartuffe de Molière, mise en scène Peter Stein avec Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gélinas, Manon Combes, Catherine Ferran, Jean-Baptiste Malartre, Marion Malenfant. Jusqu’au 28 octobre, Théâtre de la porte Saint-Martin, Paris Xe

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