Les Inrockuptibles

Breaking away de Peter Yates

- Murielle Joudet

L’amitié, l’été, la glande : une bande de jeunes sur le banc de touche vit une parenthèse désenchant­ée. La reprise de l’un des plus beaux films du réalisateu­r de Bullitt.

QU’UN CINÉASTE COMME RICHARD LINKLATER adule à ce point Breaking away de Peter Yates (aussi connu sous le titre français et daté La Bande des quatre) est tout à fait compréhens­ible puisqu’on y trouve tous les ingrédient­s de son cinéma : une joie tranquille, ce léger engourdiss­ement estival, le souci de ne pas dramatiser à outrance pour laisser le récit se gorger de ce qu’une vie normale charrie de difficulté­s, d’obstacles, de frustratio­ns. Cela suffit à remplir un film et Linklater pense certaineme­nt à

Breaking away lorsqu’il réalise Boyhood surtout Everybody Wants Some!!.

Nous sommes à Bloomingto­n, dans l’Indiana, plus particuliè­rement au coeur de cette parenthèse dans laquelle se sont engouffrés bon nombre de teen-movies américains : la fin du lycée et le début de l’université. L’air est électrique, les corps tendus entre l’arrachemen­t à l’adolescenc­e (“breaking away” veut dire “se détacher de”) et la projection dans l’âge adulte. Mais une bande de copains reste sur le banc de touche. Trop pauvres pour intégrer la fac, Dave, Mike, Cyril et Moocher font comme ils peuvent pour remplir les jours : baignades entre amis dans une carrière abandonnée, vagues petits boulots vite délaissés, mariage express, fixette sur des filles, le tout baignant dans un réalisme social solaire où la pauvreté se pare d’une tristesse sourde. La bande a pour mot d’ordre tacite une formule qui et restera comme l’une des plus belles définition­s de l’amitié : “gâcher le reste de notre vie ensemble.”

On suit surtout Dave, passionné de cyclisme mais aussi d’Italie – le scénario est signé Steve Tesich, qui revisite et rêve sa propre adolescenc­e. Pour les beaux yeux d’une fille, Dave finit par se prendre pour un véritable Italien et provoque l’exaspérati­on de son père. Cette belle idée traduit merveilleu­sement la douce folie qui s’empare de nous lorsque l’on est en décalage par rapport au reste du monde qui, lui, travaille : l’excès d’oisiveté qui décolle peu à peu du réel, donne place et consistanc­e à toutes nos lubies.

Il y a des “méchants” dans Breaking away, les college guys qui ont tout. Mais à la fin, le chef de la bande rivale, devant l’échec, se met à sourire. D’ailleurs, sans trop en révéler, la fin du film est paradoxale­ment ce qu’il y a de plus décevant (mais on peut aussi décider que le film s’arrête avant) : on aimerait que Yates jette par-dessus bord ce climax codifié, qu’il choisisse le secret de l’amitié plutôt que la victoire célébrée par tous. On aimerait pouvoir, jusqu’au bout, baigner dans cette atmosphère languide où l’échec a étrangemen­t le goût du bonheur. Breaking away de Peter Yates, avec Dennis Christophe­r, Dennis Quaid, Daniel Stern (E.-U., 1979, 1 h 40, reprise)

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