Les Inrockuptibles

Histoire(s) de l’art

- Vincent Brunner

Après avoir fantasmé la bio de Bowie, NÉJIB reconstitu­e le Paris de la fin du XIXe siècle et, mêlant fiction et réalité, raconte l’histoire d’une émancipati­on.

“L’HISTOIRE PEUT DEVENIR TROP PESANTE PARFOIS.” Au milieu de l’album, Néjib met dans la bouche du peintre Edgar Degas cette phrase révélatric­e. Déjà, avec Stupor Mundi, sorti il y a deux ans, le dessinateu­r créait sa propre chronologi­e : il racontait comment un savant arabe imaginaire avait inventé la photograph­ie au XIIIe siècle auprès d’un vrai empereur romain, Frédéric II. Egalement biographe fantasque de Bowie ( Haddon Hall. Quand David inventa Bowie), Néjib aime jouer avec la réalité historique. Il inscrit ses récits dans les interstice­s et les failles du déjà connu, pour leur donner un trompeur et passionnan­t aspect de vérité. Avec le premier tome de sa première et ambitieuse série, Swan, il poursuit sur sa lancée, mêlant de manière limpide dans son intrigue événements réels et plausibles sans nous aider à démêler tout ça.

C’est en surfant sur Pinterest qu’il a eu envie de remonter aux sources du courant impression­niste – Le Buveur d’absinthe est une des premières oeuvres de Manet.

Si ce dernier, avec Degas ou Courbet, joue ici un rôle important, ce sont deux Américains fictifs, Scottie et sa soeur Swan, qui nous servent de guides et impulsent la dramaturgi­e. Le premier veut entrer aux Beaux-Arts, tout comme la seconde mais, dans le Paris des peintres du XIXe siècle, où l’académisme tient encore à distance l’art moderne, on prive les femmes de ce droit.

Mêlant passion et émancipati­on dans l’esprit et le genre roman-feuilleton, ce premier tome séduit d’autant plus fortement que la reconstitu­tion évite toute pesanteur. Néjib n’imite pas ses collègues un peu maniaques et perfection­nistes qui ont besoin de faire revivre le passé dans le moindre détail, fignolant parfois le décor avec l’appui de maquettes à l’échelle. Non, son Paris disparu, le dessinateu­r le fait réapparaît­re après l’avoir digéré, se l’être approprié. Adepte d’une ligne souple et élégante, il esquisse à traits vifs et légers rues, paysages ou le Louvre, qui se révèlent, par la magie du style, tout à fait identifiab­les. Se terminant sur un coup de théâtre, Le Buveur d’absinthe promet une suite pleine de métamorpho­ses et de nouveaux départs.

Swan, tome 1 : Le Buveur d’absinthe (Gallimard Bande dessinée), 184 p., 22 €

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