Paroles paroles
FRÉDÉRIC BÉLIER-GARCIA remonte avec brio Dans la luge d’Arthur Schopenhauer de Yasmina Reza. Un déluge verbal qui révèle le naufrage d’une bourgoisie intellectuelle sur le retour.
AVEC L’ORÉE D’UNE FORÊT EN GUISE DE TAPIS VERT, la parole fuse sur le plateau telle une boule d’ivoire qui change de direction à chaque impact contre les bandes de la table. Composée d’une suite de monologues, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer de Yasmina Reza a fait l’objet d’une première création en 2006. Cette reprise par Frédéric Bélier- Garcia témoigne d’une partie de billard à la française qui se joue par groupes de deux, dans la répétition comique d’un cérémonial où celui qui a la parole enchaîne les coups tandis que l’autre en est réduit à compter les points.
Le formidable du théâtre fait que l’on prend autant de plaisir à vibrer aux outrances d’un déluge verbal incarné qu’à se délecter des mimiques que provoque sa réception silencieuse. Il ne s’agit pas d’une intrigue au sens traditionnel du terme, mais d’un portrait de groupe ciblant avec cruauté et humour les représentants d’une bourgeoisie universitaire vieillissante dans le triangle revisité du mari, de la femme et de l’ami autour duquel gravite la présence d’une psy. Le texte distribue ses envolées tous azimuts en passant du règlement de compte à l’imprécation, de la logorrhée emphatique à la dénonciation, du ressassement à la confession. Yasmina Reza pointe du doigt le naufrage d’une génération en multipliant, comme autant de gags, les périphrases drolatiques sur la manière d’éplucher une orange, de manger les fraises à la fourchette, sur les vertus de l’étude de la copulation chez le cochon et l’insupportable de porter une robe de chambre.
Le rire étant toujours la face pudique du drame, ses petits penseurs ont perdu pied depuis que leur mentor Louis Althusser, est passé de la philosophie à la rubrique des faits divers après avoir étranglé sa femme dans une crise de démence. Frédéric BélierGarcia fait magnifiquement entendre cette partition savante pour que le grand déballage ne perde jamais la mesure de son