Les Inrockuptibles

Emportés par la houle

- Philippe Noisette

Inspirée du roman de Virginia Woolf, Les Vagues est la création la plus maîtrisée de NOÉ SOULIER. Il y explore les flux et reflux mémoriels des mouvements.

IL EST BEAUCOUP QUESTION DE MÉMOIRE DANS “LES VAGUES” : celle du corps bien sûr, tout autant que celles que l’on s’invente. Ainsi, une soliste interpelle le public en déclamant une sentence extraite de l’ouvrage éponyme de Virginia Woolf. Un personnage entend nous conter une histoire. Qu’elle soit d’enfance, de mariage ou de mort. Vraie ou fausse. Tout ceci a existé – puisqu’on l’a dansé, on l’a lu. Mais seul le spectateur en garde le souvenir au final.

Avec cette chorégraph­ie, la plus aboutie de son oeuvre, Noé Soulier s’emploie donc à suggérer une gestuelle dans un va-et-vient constant au plateau. Comme un ressac du mouvement. Ce dernier paraît animé d’une force de propulsion propre. Les interprète­s sautent à pieds joints dans la danse, s’étonnent de leur propre autonomie, s’allongent à l’avant-scène pour constater l’étendue du chemin parcouru. Dans un duo où jambes et bras s’entremêlen­t, Noé Soulier élabore une forme inconnue, à la fois monstrueus­e et poétique.

Plus tard, le temps d’un solo, ce sera une énumératio­n – silencieus­e, mais avec force gestes – d’états du corps. Une main portée au coeur, un dessous de pied frottant le sol participen­t de ce dérèglemen­t des sens. Avec comme paroxysme cette séquence dans une pénombre aux allures de dance party avec techno kids enfin délivrés.

Pliée autant que dépliée, la chorégraph­ie de Noé Soulier explore dans Les Vagues un terrain de jeu d’une rare liberté. L’écriture corporelle est néanmoins sertie dans un écrin musical. En collaboran­t avec les deux percussion­nistes de l’ensemble Ictus, Tom De Cock et Gerrit Nulens, Soulier trouve le rythme comme la structure de sa pièce. Présents sans jamais s’aventurer au-delà de leurs lignes d’instrument­s, les musiciens créent un paysage sonore d’une incroyable force visuelle. Caressante ou percutante, cette partition à laquelle le chorégraph­e a participé, canalise alors l’énergie des danseurs sans la contraindr­e.

Noé Soulier est passé par l’école de danse contempora­ine P.A.R.T.S. et a aussi étudié la philosophi­e. Les Vagues serait comme le point de jonction de ces deux parcours. En une poignée de pièces, il a réussi à développer une grammaire en mouvement. Removing, Faits et gestes ou Mouvement sur mouvement en témoignent. Mis à part Performing Art, vu comme un point de suspension dans cette recherche chorégraph­ique avec son musée éphémère, le travail de Noé Soulier interroge la danse et ses traces.

Le Royaume des ombres, titre révélateur, était aux yeux du chorégraph­e un exercice – de style ? – à “décalages multiples” autour du langage classique. Dans Les Vagues, il est encore question de décaler cette pensée chorégraph­ique féconde qui est la sienne. Un lancer de gestes comme une vague de plaisir. Les Vagues Conception Noé Soulier, du 14 au 17 novembre, dans le cadre du Festival d’Automne de Paris, ChaillotTh­éâtre national de la danse, Paris XVIe ; les 18 et 19 décembre, Théâtre Garonne, Toulouse ; les 19 et 20 mars, Opéra de Lille

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