Les Inrockuptibles

Green alert

- Ingrid Luquet-Gad

Le critique PAUL ARDENNE aborde la création anthropocè­ne à l’échelle de l’histoire de l’art dans un essai documenté et prospectif.

“JE SUIS CERTAIN QU’À LA FIAC,

IL Y A PLEIN D’ART ANTHROPOCÈ­NE, il paraît que c’est très à la mode !” Alors que les festivités de ladite foire battaient leur plein, un Grayson Perry très en verve balançait punchline sur punchline aux journalist­es venus assister à l’inaugurati­on de son exposition (géniale) à la Monnaie de Paris. Grayson Perry avait vu juste. Comme tout un chacun, les artistes ne peuvent rester imperméabl­es aux préoccupat­ions écologique­s. A la Fiac mais aussi à Paris Internatio­nale, on repère des environnem­ents mutants (les crevettes roses fluo-trop fluo de Jean-Marie Appriou) ou des zombies de l’apocalypse (les pantins flippants de Veit Laurent Kurz).

Au même moment, au Palais de Tokyo, Tomás Saraceno investit l’intégralit­é des espaces de ses rêves d’Icare, tandis qu’à la Serpentine Gallery, à Londres, Pierre Huyghe génère un biotope où l’individu se dissout dans une nuée de neurones artificiel­s et de bestioles volantes. L’art anthropocè­ne serait donc l’art du XXIe siècle. Mais cet art-là, est-ce pour autant un mouvement ? S’inscrit-il dans une histoire des formes ? Invente-t-il un nouveau rapport à l’image et à la représenta­tion ? Toutes ces questions, le critique d’art Paul Ardenne se les est posées. Plutôt que de vouloir les résoudre tout de suite, il les a mises à l’épreuve de l’histoire de l’art.

“Cet essai n’entend nullement créer un label. Il se prévaut d’une ambition moindre, d’abord documentai­re : indexer des positions d’alerte, des comporteme­nts vigiles, des attitudes où solidarité, fraternité et humanisme prennent une place décisive et se traduisent en formes, en artefacts plastiques dont le thème est la préservati­on de l’humain et de son milieu de vie”, écrit-il dans l’introducti­on à L’Art écologique – Création plasticien­ne et anthropocè­ne. En trois parties et une postface de Bernard Stiegler, Paul Ardenne évolue au plus près des oeuvres, des artistes et de l’histoire de l’exposition. Si le terme “d’anthropocè­ne” n’apparaît qu’en sous-titre, c’est que son clinquant théorique est ici disqualifi­é. Désignant une ère géologique dominée par l’action humaine tout autant que la perte irréversib­le d’une nature sauvage, il est souvent accompagné de généralité­s spéculativ­es. Outre son empirisme rigoureux, Paul Ardenne avance également l’idée d’un art humaniste, s’appuyant sur l’écosophie de Guattari pour penser une responsabi­lité collective. La conclusion est limpide : plutôt que d’exacerber “la création mimétique qui s’établit par le biais d’images” (le néo-romantisme apocalypti­que ou spectacula­ire que l’on voit partout), les formes artistique­s sont appelées à se faire “contextuel­les”, à évoluer vers

“la création documentée de façon concrète”. Une figure de l’artiste-vigie dont il identifie les prémisses chez Joseph Beuys lorsque, invité à la Documenta de Kassel en 1982, celui-ci planta le premier des sept mille chênes de sa titanesque sculpture écologique.

Un art écologique – Création plasticien­ne et anthropocè­ne

(Ed. La Muette/Le Bord de l’Eau), 288 p., 35 €

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