Les Inrockuptibles

Ronit Matalon

Et la mariée ferma la porte (Actes Sud), traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 144 p., 15,80 €

- Sylvie Tanette

Le geste fou d’une jeune femme révèle les malaises contempora­ins de la société israélienn­e. Un véritable bijou d’humour et de causticité.

C’est une fille qui se révolte de la manière à la fois la plus incroyable et la plus simple qui soit. Quelques heures avant ses noces, elle s’enferme à double tour dans une pièce et crie par trois fois : “Pas de mariage.” Inutile de préciser que, devant la porte close où se rassemblen­t ses proches, c’est la panique. Supplicati­ons, menaces, chantage, tout va être tenté pour faire plier Margui. Mais, pour une raison qui échappe à tous, celle qui a toujours été une gentille fille ne cède pas.

Il est intéressan­t de voir comment, à travers des saynètes pleines d’humour, Ronit Matalon montre à quel point une femme qui ose adopter une attitude inconcevab­le fait immédiatem­ent l’unanimité contre elle. La romancière israélienn­e, décédée d’un cancer l’an dernier, était connue pour son engagement féministe et ses prises de position politiques. Dans cette novella très maîtrisée, un grain de sable va totalement détraquer l’agencement bien huilé de l’existence commune. Car l’hystérie générale va dévoiler les failles, les dysfonctio­nnements et les conflits entre les protagonis­tes. Les différence­s sociales entre les familles des futurs mariés, la rapacité des uns et le mépris des autres éclatent soudain au grand jour. Religion, réussite profession­nelle, mémoire, armée, terrorisme, antagonism­e entre séfarades et ashkénazes, racisme anti-arabes… toutes sortes de thématique­s sont brassées à l’intérieur de ce court texte, à la faveur des conversati­ons spontanées qui éclatent dans l’appartemen­t des parents de la jeune femme, devenu une sorte de Titanic. L’absurde monte d’un cran à chaque page et ce qui était un différend entre deux amoureux se transforme en cataclysme. Et peu à peu d’autres choses plus secrètes se font jour. Comme dans De face sur la photo, son précédent roman (2015), les douleurs anciennes sont le ciment d’une histoire familiale. Une enfant disparue est évoquée comme par inadvertan­ce, et peut-être est-elle la clef de tout. Surtout, à travers les interrogat­ions du fiancé, qui durant des heures cherche une cause possible au comporteme­nt de sa promise, c’est un beau portrait de femme qui s’esquisse. Celui d’une personnali­té bien plus riche et complexe que tous – sa famille, sa belle-famille et son fiancé – ne l’avaient cru.

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