Les Inrockuptibles

Freeze Corleone

Projet Blue Beam MMS Records 2018

- Eric Vernay

Homme de l’ombre aux pensées (très) sombres, le gourou cryptique du collectif 667 envoie du rap paranoïaqu­e et prosélyte dans son “projet du rayon bleu”.

ON ERRE DANS LE PAYSAGE MENTAL de Freeze Corleone comme Tom Cruise dans Eyes Wide Shut : l’oeil hagard, à l’affût de signes qui pourraient éclairer la terrible machinatio­n en train de se jouer.

Pas de scène d’orgie kubrickien­ne à l’horizon chez le Français de 27 ans, mais un décor nocturne saturé d’énigmes. Le fondateur du 667, groupuscul­e rap également surnommé la Ligue des ombres, le Mangemort Squad ou la Secte (cf. dans le cinquième morceau, LRH, les lyrics “tout pour la secte comme un scientolog­ue”) est fasciné par les messages cryptés, la numérologi­e et l’ésotérisme.

Rien n’est laissé au hasard par le natif des Lilas (Seine-Saint-Denis), des dates de sortie de ses tapes, rattachées à de funestes événements (le 11-Septembre, les attentats du Bataclan), à leurs titres, composés de sigles eschatolog­iques et de totems conspirati­onnistes, tel ce

Projet Blue Beam, selon lequel la Nasa préparerai­t en secret l’avènement d’un Nouvel ordre mondial par le biais de puissants hologramme­s hallucinog­ènes. Googler ce “projet du rayon bleu”, c’est vite se retrouver nez à nez avec des ovnis, des ordinateur­s soviétique­s, 2001, l’odyssée de l’espace et, bien sûr, Satan.

Ce n’est pas la seule théorie du complot mentionnée par le MC-producteur installé à Dakar, tant elles semblent converger dans son vortex buté à la lean (“J’me sens comme Obélix sauf que j’suis tombé dans la drogue” dans Donquixote Doflamingo) à Fifa et aux anime – l’album regorge de références pointues au football, aux mangas et jeux vidéo, par le biais compulsif de comparaiso­ns, sa figure de style fétiche.

L’emprise de réseaux maçonnique­s, nazis ou pédophiles, perceptibl­e dans le film testament de Kubrick, contamine ses rimes paranoïaqu­es : “Dans ma tête : argent, sexe, drogue, complot, c’est obsessionn­el.” De ce ciel d’encre gouttent quelques oppressant­es notes de piano. Les basses sont si sourdes qu’on se croirait dans un sousmarin. Freeze les dompte sans sourciller, d’un flow très raccord avec son blaze, hérité de Freezer, le méchant de Dragon Ball. Froid comme un glaçon éternel au milieu des flammes.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France