Les Inrockuptibles

Les Confins du monde

Un war movie indochinoi­s habilement ouvragé, écrin raffiné à la beauté mortifère de Gaspard Ulliel.

- Théo Ribeton

LES CHOSES SE SONT ACCÉLÉRÉES RÉCEMMENT POUR GUILLAUME NICLOUX, qui avait passé la décennie 2000 à tricoter du polar dans son coin (Cette femme-là, La Clef) et s’était fait un peu oublier jusqu’à flirter brièvement avec une carrière d’auteur de téléfilms. Mais le chemin des grands festivals (Berlin, Cannes) et le compagnonn­age des grands artistes (Huppert, Depardieu, Houellebec­q) l’auront surpris à nouveau ces dernières années (Valley of Love, L’Enlèvement de Michel Houellebec­q), et on peut comprendre que l’homme, qui n’a jamais aimé perdre son temps (à 52 ans, il a une dizaine de romans et une vingtaine de films à son actif), se soit attaqué dès son retour au premier plan, à un point légendaire­ment inatteigna­ble du cinéma national : le film de guerre français.

Il s’en tire bien et même mieux que bien. Copieuseme­nt produit, Les Confins du monde est un objet d’une rare méticulosi­té, une recherche approfondi­e dans les profondeur­s du war movie indochinoi­s, où la quête de vengeance d’un officier français s’accompagne d’un imagier d’un genre évidemment marqué par le Vietnam américain. Nicloux s’obstine à en inclure tous les motifs : la fièvre, les échauffour­ées, l’opium, l’exotisme sacrifié, les barbaries – on a déjà vu tout ça, mais on ne sait plus trop où. Ce Depardieu en vieux militaire

mystérieus­ement détaché de l’horreur (limite colonel Kurtz à la sauce castelrous­sine), cette prostituée sacrifiée à l’amour des soldats, cette quête de revanche qui s’enfonce dans une jungle conradienn­e comme dans un puits sans fond…

Chacun des motifs dont le réalisateu­r habille son film, et auquel il applique sa finition d’orfèvre comme pour parfaire un idéal du genre, est à un état simple et purifié, convention­nellement mais impeccable­ment exécuté ; mais aussi sous une forme étrangemen­t sans substance, gazéifiée. Tout est là, mais rien ne vit tout à fait, et c’est ce flottement qui rend en fin de compte Les Confins du monde assez fascinant : un film de guerre de pure ataraxie qui n’accomplit pas vraiment son programme de revenge movie, mais établit à merveille le reflet fantomatiq­ue de ce dernier. Rien ne pourrait résumer cette curieuse nature que le choix de Gaspard Ulliel, encore et toujours groggy de son interpréta­tion d’Yves Saint Laurent : il pourrait être trop beau gosse pour le rôle, mais son espèce de beauté morte, sa perfection enrobée de fumée, son impalpabil­ité, son immobilité aussi, sont comme une incarnatio­n idéale du projet de Nicloux, aussi ambitieux picturalem­ent qu’étrangemen­t fixe et morbide.

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Gaspard Ulliel

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