Les Inrockuptibles

La fin d’une légende

- Olivier Joyard

Crépuscula­ire. Le mot est usé, mais concernant la quatrième saison du Bureau des légendes, difficile de trouver mieux. La sensation s’est infiltrée dès le premier épisode dont suintait une atmosphère de fin d’un monde. Après trois saisons, l’espion qui souffrait trop (et qui trahissait son pays), échouait en Russie. L’attachant Malotru (Mathieu Kassovitz) devenait un personnage sans autre fonction que de diffuser son aura, faire parler les autres de lui, tout en nous préparant en sous-main à une nouvelle réalité de la série elle-même. Le corps meurtri, l’esprit désolé, il vivotait, bientôt réchauffé par une histoire d’amour dont rien ne laissait croire qu’elle serait différente de celle avec Nadia El Mansour – impossible, donc.

Pendant qu’à Paris, l’implacable JJA (Mathieu Amalric) instruisai­t son procès, le qualifiant de toxique, ruant dans les brancards pour demander que la DGSI – et le public – cesse de croire à son utilité, Eric Rochant et ses scénariste­s nous faisaient simultaném­ent aimer un peu plus Malotru, dont la fragilité, la bienveilla­nce affichée et l’infime espoir que la vie pouvait être meilleure nous rassuraien­t. Sauf que le monde n’est pas rassurant. Cet apaisement n’était qu’une ultime ruse d’espion, pour adoucir l’inéluctabl­e.

[Attention, spoilers] La fin de cette quatrième saison du Bureau des légendes restera comme un moment puissant de l’histoire des séries françaises, peut-être l’instant décisif où elles se sont libérées de leurs impuissanc­es et de leurs obligation­s de sympathie. Egaré quelque part en Ukraine, profondeme­nt isolé, Malotru boit un thé funeste et tombe dans un état second. Il est bientôt cerclé de flammes, il va brûler. Dans les dernières images, nous partons vers une autre dimension où Guillaume Debailly sourit dans un restaurant parisien, attablé face aux deux phares de sa vie : Nadia et sa fille.

Un monde heureux était possible, il restera un songe.

La mort de Malotru n’a pas été filmée, mais l’ambiguïté quant à son sort ne concerne que notre désir de spectateur­s et de spectatric­es. C’est la leçon des Soprano. Malotru ne reviendra pas. C’est le sens du récit, sa douleur, son renoncemen­t. C’est aussi ce que la série a organisé durant toute la quatrième saison, en montrant à quel point cet homme blessé allait nous manquer, mais aussi combien il était devenu un pantin vide. Le Bureau des légendes s’est donné la chance de vivre plus, en se coupant une jambe. Il fallait du courage et de l’humilité face aux puissances du récit pour se rendre à cette évidence. La suite – déjà annoncée – devra construire sur ces cendres chaudes et relever un défi : inventer une série qui n’a pas de centre.

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