Les Inrockuptibles

L’ire de saint-Lazare

Lazare, metteur en scène adoubé par la critique, fait éclater sa poésie et sa colère en fusion dans SOMBRE RIVIÈRE. Sa pièce est un hommage à ceux qui lui ont donné la vie et à ceux qui ont trouvé la mort lors des attentats.

- Hervé Pons

ON SE DEMANDE SOUVENT SI LA VIE A UN SENS et puis, parfois, on rencontre des êtres qui lui en donnent un. Ce sont d’eux dont parle Lazare dans sa pièce, ces personnes qui lui ont donné vie dans toutes les acceptions possibles. Sa mère, avec laquelle il dialogue par le biais de vidéos. Jacques Miquel dit “Miqué”, comédien et fondateur du Théâtre du Fil – décédé il y a deux ans et auquel

Sombre rivière est dédié – grâce à qui l’auteur et metteur en scène a découvert le théâtre alors qu’il ne savait ni lire ni écrire. Et il y a Claude Régy, le maître, le mentor, le compagnon.

Adoubé par la critique de tous bords, accompagné et aidé par les directeurs du théâtre français les plus prestigieu­x comme Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg, Lazare ne s’est pourtant jamais repu de son succès et de l’audience grandissan­te donnée à sa poésie. Et il peste. Il peste contre le monde, l’institutio­n, les artistes, l’autre, et ceux-là même, aussi, qui lui permettent d’être là aujourd’hui. Cette révolte colérique empreinte d’adolescenc­e est une constante du théâtre de Lazare.

Construit essentiell­ement à partir de deux conversati­ons téléphoniq­ues, l’une avec sa mère, l’autre avec Claude Régy, Sombre rivière, n’y échappe pas. Bien que sous des atours plus festifs et joyeux qu’à son habitude, l’auteur-metteur en scène en colère poursuit son exploratio­n du monde contempora­in par son versant chaotique et sombre. Par l’injustice qu’il décèle dans les plis du quotidien.

“J’appelle autour de moi pour trouver des signes de vie. Je m’agrippe au téléphone, le coeur dans l’oreille, et chaque battement de voix le fait palpiter.” Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, Lazare écrit ces mots. Sombre rivière est un hommage à ces morts et évoque cette douleur, mais la pièce est aussi une prière pour les victimes de Sétif et de Guelma en Algérie, dont l’auteur dénonçait les massacres dans Passé-je ne sais où, qui revient, un précédent spectacle.

Les morts, comme les poètes, hantent l’oeuvre de Lazare alors qu’au plateau, tout explose dans un débordemen­t vital et incessant. C’est un chaos démultipli­é. Comme si les doubles “pessoesque­s” de l’auteur se partageaie­nt la parole sur scène, comme autant de messieurs loyaux désemparés face à la violence du monde et qui, ne sachant la maîtriser, tentent de l’adopter. Avec le temps, le boucan pétaradant de mots, de musiques, d’actions, d’injonction­s contradict­oires, d’échappées lyriques et de râleries franchouil­lardes, tout ce vacarme qui envahit la scène se sédimente pourtant dans l’esprit du spectateur. Et les eaux glauques agitées par Lazare s’éclairciss­ent de leur fulgurance poétique. Ainsi, partant de sa révolte intérieure, Lazare met en lumière la colère de tout un peuple. Sombre rivière de Lazare (texte et mise en scène). Jusqu’au 30 décembre, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe

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