Les Inrockuptibles

“Avec ma grande taille”

Louise Bourgoin

- PROPOS RECUEILLIS PAR Jean-Marc Lalanne PHOTO Benni Valsson pour Les Inrockupti­bles

Avec Hippocrate, elle s’est vu offrir son premier rôle récurrent dans une série. Dans le rétroviseu­r de la comédienne il y a de l’art japonais, des artistes féminines et un regard attentif mais optimiste sur le cinéma français.

EMPATHIE

Hippocrate est la première vraie série que l’on m’ait proposée. Juste avant, j’avais joué dans un épisode de The Romanoffs, la mini-série du créateur de Mad Men, Matthew Weiner. Incarner un personnage principal sur toute une saison et durant six mois de tournage était donc une expérience très nouvelle pour moi. Dès la lecture du scénario, c’était différent de ce que j’avais connu jusque-là. Ce n’est pas rien de découvrir un personnage développé sur 450 pages plutôt que 100. J’ai eu le sentiment de comprendre Chloé en profondeur et j’ai éprouvé une grande empathie. Du coup, elle a été assez facile à jouer.

EXIGENCE

Chloé est peut-être le personnage le plus proche de moi que j’ai eu à jouer. Je me reconnais dans son exigence plutôt jusqu’au-boutiste. Ça peut aller jusqu’à une certaine sécheresse. Elle ne met pas les formes, elle ne s’embarrasse pas des convention­s de politesse, elle a un rapport très direct à l’autre.

URGENCES

Ado, j’ai adoré Urgences. J’étais particuliè­rement sensible à la présence de Noah Wyle ( le docteur Carter – ndlr) et surtout à sa façon de rougir jusqu’en dessous des yeux. Alors que je n’étais pas du tout sensible au côté brut de décoffrage de Clooney. J’ai assez peu suivi de séries médicales par la suite, je crois n’avoir jamais vu un épisode de Dr House. Thomas Lilti ( le créateur d’Hippocrate – ndlr) nous a montré avant le tournage un montage de scènes d’Urgences pour les commenter du point de vue de la vraisembla­nce. Il nous expliquait dans chaque scène ce qui était réaliste et ce qui était totalement fantaisist­e. Le réalisme, le souci de véracité dans les postures étaient pour lui des préoccupat­ions majeures. Thomas, qui a été médecin pendant douze ans, nous montrait parfois sur le plateau comment réaliser tel geste et on savait qu’il l’avait déjà exécuté pour de vrai. Ça insuffle quelque chose de particulie­r à l’acteur. On se sentait responsabl­e.

FÉMININ

J’ai aimé aussi jouer une idée non stéréotypé­e du féminin. Rien ne la ramène à une vie de famille, elle est trop solitaire. Sa fonction profession­nelle la définit davantage que son histoire d’amour. Son dirigisme, son autorité sont des attributs que les fictions distribuen­t plutôt sur les personnage­s masculins.

Alors que le personnage de mon mec, joué par Eric Caravaca, est plutôt tiré vers les convention­s du féminin : il est à la maison, s’inquiète pour ma santé... Et j’ai aimé aussi que Thomas Lilti mette en scène ma taille. Je mesure 1,80 m et souvent, le cinéma a voulu me rabaisser, mettre les autres sur des talons et moi à plat. Thomas a joué avec ma grande taille. Il a tout accepté chez moi.

50/50

J’ai eu la chance de travailler avec un certain nombre de réalisatri­ces : Anne Fontaine, Axelle Ropert, Emma Luchini, Nicole Garcia... Même si le cinéma français est encore inégalitai­re, je pense malgré tout qu’il est sur une bonne voie. C’est vraiment salutaire. Il a longtemps manqué au cinéma un équilibre entre la façon dont un cinéaste représente un personnage féminin et celle dont peut le faire une cinéaste. Je suis très contente d’être sur votre couverture avec Laetitia Dosch, parce que justement elle a incarné des figures féminines parmi les plus fortes et justes que j’ai vues au cinéma ces dernières années. J’adore La Bataille de Solférino et j’admire beaucoup Justine Triet. Et Jeune femme de Léonor Serraille m’a aussi beaucoup marqué. Le film fait naître un personnage qui est tellement libre qu’il déborde sans cesse, et cette liberté que personne ne contient, produit une forme d’inconfort, de gêne, qui est vraiment passionnan­te.

LECTURES

J’ai découvert cette année le travail de Mona Chollet. J’ai lu Beauté fatale et Chez soi, qui prône le sommeil en guise de rébellion. Je suis en train de commencer Sorcières, celui qui est sorti cette année. Je suis impression­née par son intelligen­ce, sa clarté, sa lucidité, la qualité d’écriture de ses livres. Dans Hippocrate, je joue avec des acteurs trans F to M et j’ai lu des ouvrages qui sont des références majeures pour eux : Middlesex de Jeffrey Eugenides, mais surtout Testo junkie de Beatriz Preciado. Sa façon de fuir les injonction­s de genre, de ne plus vouloir appartenir à aucun, c’est très fort. Son concept de “biocorps” est très stimulant. C’est très intéressan­t d’envisager le féminisme de cette place-là.

MAGGIE

J’aime beaucoup The Deuce. J’ai fini la première saison et je commence la deuxième. La série vaut surtout pour le personnage de Maggie Gyllenhaal, qui imprime un regard féminin dans

l’industrie du porno. J’adore la façon dont elle se présente à l’image, à la fois lasse et voluptueus­e, le corps un peu fatigué. Elle est aussi productric­e de la série et elle a su imposer un personnage féminin comme le cinéma américain en propose peu.

ESTAMPES

J’ai découvert un musée à Paris – alors que je pensais tous les connaître. C’est la Fondation Custodia. C’est dans le VIIe arrondisse­ment. Il présente en ce moment une exposition aux estampes japonaises modernes, de 1900 à 1960. On connaissai­t l’influence des estampes japonaises sur l’impression­nisme français. Là, on voit l’inverse : le rayonnemen­t de Paris dans l’imaginaire des artistes japonais de la première moitié du XXe siècle. Les décors, les ambiances urbaines sont très européenne­s, mais par des graveurs japonais.

Hippocrate de Thomas Lilti avec Karim Leklou, Alice Belaïdi, Eric Caravaca, Anne Consigny. Sur Canal+

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