Les Inrockuptibles

Rest in pieces

Un an après le succès de son cinquième album, rencontre avec CHARLOTTE GAINSBOURG qui revient avec trois inédits et deux live, dont une cover du Runaway de Kanye West, regroupés en ep.

- Carole Boinet

ON NOUS AVAIT PRÉVENU : “TU VERRAS, C’EST UNE TIMIDE !” La voici pourtant en train de vérifier dans la glace qui lui fait face si elle n’a vraiment rien de coincé dans les dents. Charlotte Gainsbourg – qui sort tout juste de table – le dit elle-même : “Je suis une ex-timide ! C’est un cliché !” Cliché qui lui colle à la peau, qui s’accroche à sa voix fluette, doucerette, s’excusant presque d’émettre.

Cliché parmi tant d’autres, lot de celle qui a grandi en pleine lumière, s’incrustant dans la pupille des Français.e.s dès 1985, avec son deuxième film, L’Effrontée, avant de se coller à leurs tympans l’espace d’un refrain douloureus­ement murmuré sur Lemon Incest. Trente-trois ans plus tard, ce n’est pas nous qui ramenons Charlotte Gainsbourg à son enfance. Elle le fait d’elle-même, sans cesse, mentionnan­t père et mère, déconstrui­sant les clichés, précisant les anecdotes inlassable­ment ressuscité­es, affirmant, surtout, avoir profondéme­nt gagné en assise grâce à Rest, son cinquième album produit avec Sebastian.

Un an après sa parution, elle en publie une courte suite, épilogue en trois inédits et deux live, qui pourraient n’être que chutes de studio s’ils n’avaient l’ampleur des titres de l’album. Elle ne les a pas retenus à l’époque parce qu’il fallait bien choisir, “sacrifier”, dit-elle. Mais ces morceaux, elle les aime tendrement et souhaitait les faire exister à l’air libre, leur offrir une trace. Elle a très bien fait. Dès l’ouverture, Such a Remarkable Day, la claque nous atteint, bam ! Incroyable­ment dansant, le single puise dans les plus belles heures de la disco noire, aspire les claviers à la Moroder, tout en évoquant sa soeur disparue, Kate.

La rencontre, explosive, de ce qui ressemble à “des contradict­ions entre des textes plutôt tristes, introspect­ifs et une musique délirante, disco”. Elle explique : “Je n’ai pas de gêne à exposer des choses que je ressens, à aller disséquer l’intime. J’ai l’impression que je vis avec ça depuis toujours. Au cinéma, il faut avoir un plaisir à être regardé et à se dévoiler. Mais il faut que je sois protégée d’une certaine manière, par les dialogues, les personnage­s. Dans la musique, c’est justement la musique qui me protège. C’est mon bouclier, et Sebastian a totalement compris ça.”

Il y a donc la grandiloqu­ence de cathédrale, la gravité de cimetière, la violence des sentiments, la boule à facettes et la salle de bal, sa petite voix conférant à l’ensemble un côté spectral et romantique, lunaire et chatoyant, conte de fées moderne écrit de larmes et de paillettes. Charlotte ne danse que très rarement. “Je profite de mes enfants pour me l’autoriser. J’ai toujours eu du mal avec le corps, même si un peu moins aujourd’hui. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas très envie de danser ! J’ai envie d’avoir un rapport physique à la scène que je n’ai pas encore. Tout ça m’amuse beaucoup car je sens que j’ai des progrès à faire, des étapes à franchir !”

Sur scène justement, Charlotte Gainsbourg a d’ores et déjà franchi pas mal de caps. Le live de Rest se classe de loin dans le top 3 des meilleurs de l’année. En jean et t-shirt blanc, elle se promène dans une scénograph­ie léchée faite de contours lumineux qui lui rappellent le cinéma (“j’avais besoin d’être cadrée !”). Cadrée pour mieux s’échapper. Charlotte Gainsbourg, “très scolaire”, a besoin qu’on la pousse, filant la métaphore d’un saut en parachute à l’âge de 19 ans. “Je n’avais pas vraiment décidé de sauter, je l’ai fait car un mec me criait : ‘Go !”

L’expérience est foireuse, mais dit quelque chose de la personne : encadrée et motivée, Gainsbourg peut aller loin, très, très loin. “Grâce à Lars

[von Trier], j’ai vraiment compris que tout le côté extrême, c’était quelque chose qui me provoquait un plaisir dingue. Je dois avoir une grande part maso, j’en suis sûre. Mais bon, ce n’est pas un problème. Je l’ai compris, c’est comme ça, et ça balance avec une vie... (elle réfléchit) pas calme, ça serait ennuyeux... Mais beaucoup plus raisonnabl­e !”

Refusant tout manichéism­e, revendiqua­nt le droit au doute et au tâtonnemen­t, Charlotte Gainsbourg a le chic de la force et de la faiblesse, se frottant aux challenges sur la pointe des pieds. Comme lorsqu’elle décide de reprendre, pour Taratata, le Runaway de Kanye West. Sublime, le résultat se glisse par bonheur sur l’ep. “Je suis une grande fan. Je suis obnubilée par ses deux derniers albums, Ye et Kids See Ghosts. Malgré le personnage qui est difficilem­ent défendable, musicaleme­nt je trouve qu’il n’y en a pas beaucoup à sa hauteur. C’est un grand artiste.” A l’affiche, en 2019, de l’adaptation de Mon chien stupide de John Fante par son conjoint Yvan Attal, Charlotte Gainsbourg continue de suivre son instinct. “Je ne suis pas du tout dans l’analyse de moi-même, ça m’empêcherai­t d’avancer. Il y a un côté un peu naïf, et un peu bête là-dedans mais ça m’allège !” Charlotte 4ever.

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Take 2 (Because)

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