Les Inrockuptibles

Maya de Mia Hansen-Løve

- Jean-Baptiste Morain

Un journalist­e, ex-otage en Syrie, se reconstrui­t en retournant sur les lieux de son enfance, à Goa. Avec une grande économie d’effets, un portrait bouleversa­nt.

C’EST L’HISTOIRE D’UN JEUNE JOURNALIST­E, GABRIEL (Roman Kolinka), qui revient en France en grande pompe (accueil officiel à l’aéroport du Bourget devant les caméras de télévision) après avoir été captif, dans des conditions très dures, en Syrie pendant quatre mois. Mais au lieu de rester parmi les siens, il décide de retourner à Goa (un Etat du sud-ouest de l’Inde), où il a vécu son enfance. Il va bientôt y faire la connaissan­ce de la fille de son parrain indien, la jolie et jeune Maya, qui doit avoir 16 ou 17 ans – l’âge où l’on n’est pas sérieux, que l’on passe sous les tilleuls verts ou les cocotiers de la promenade.

Le retour de Gabriel est donc à la fois spatial et temporel, un retour à sa source première. Ne serait-ce que parce que sa mère vit encore dans ce pays, qu’elle y travaille pour une ONG, qu’il n’a plus de contact avec elle depuis des années et qu’il ira lui rendre visite. Gabriel fait le chemin à l’envers. Il reconstrui­t sa maison (métaphore), il parle, parle, parle et se balade avec Maya, va et vient sans arrêt, comme si ce mouvement perpétuel était nécessaire à sa “reconstruc­tion”, comme on dit. Ce travail du corps est inséparabl­e bien sûr d’un travail intérieur que le cinéma ne peut pas montrer.

C’est là que Mia Hansen-Løve (L’Avenir, Eden, Tout est pardonné…), une fois de plus, remporte son pari : laisser le spectateur deviner les choses, l’aider à voir l’invisible. C’est au prix de longs plans, très descriptif­s, des trajets en scooter, en voiture ou en train, des paysages à diverses heures du jour, que nous finissons par ressentir ce qui se passe en Gabriel, et en Maya. On pourrait presque parler de cinéma comporteme­ntaliste, tant tout passe ici par des riens, des gestes faussement anodins, des paroles qui ne cherchent pas à dire ce que les images montrent.

Maya tombe bien évidemment amoureuse du beau Gabriel. Maya, c’est Nausicaa, la fille du roi phéacien Alcinoos, qui, aiguillée par Athéna, trouve un jour sur une plage le corps nu d’un naufragé du nom d’Ulysse, et qui le recueille, le soigne, le nourrit. Alcinoos propose à Ulysse la main de Nausicaa, mais le destin d’Ulysse est de repartir. Et la violence du monde a rattrapé Gabriel à Goa (quelqu’un a mis le feu à sa maison). Au centre du nouveau film de Mia Hansen-Løve, il y a un élément très important : une mélodie célèbre, celle de la Sérénade de Franz Schubert. Ce morceau, où le compositeu­r autrichien passe plusieurs fois du mineur au majeur, va revenir souvent dans le film, et prendre à chaque fois un sens différent. C’est peut-être l’image même du cinéma de Mia Hansen-Løve, qui effectue des variations autour du même thème depuis ses débuts. Celui de la violence regardée avec douceur. Et le mystère tient à ce que cette douceur n’atténue en rien les blessures provoquées par la violence. Elle dépose seulement à leur surface un peu de baume.

Maya de Mia Hansen-Løve avec Roman Kolinka, Aarshi Banerjee, Alex Descas (Fr., 2018, 1 h 45), en salle le 19 décembre

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