Les Inrockuptibles

L’homme fidèle de Louis Garrel

- Théo Ribeton

Un homme balloté par les stratégies amoureuses de deux femmes : une étude sentimenta­le finement biseautée.

LOUIS GARREL N’A QUE

35 ANS MAIS ON A POURTANT L’IMPRESSION de le voir dans le paysage depuis presque toujours. C’est qu’il n’est pas si vieux et semble revenir de déjà loin : d’abord d’une image publique de parodie vivante de la morosité intellectu­elle parisienne en nuances de gris (sublimée par un vieux blog, garrelouvr­euse.tumblr.com, qui l’aurait toujours beaucoup amusé), en contraste tranchant avec sa personnali­té notoiremen­t joviale ; ensuite et surtout de l’ombre d’un père qui l’a beaucoup fait jouer (jusque très récemment dans La Jalousie) et a tellement incarné l’éducation romantique et cinéphile d’une génération que lui succéder est un casse-tête sans fin.

Un casse-tête auquel Louis l’acteur, et notamment le clown imitateur de Godard (l’an passé dans Le Redoutable), a pu proposer des tentatives d’irrévérenc­e trop dangereuse­s, trop incendiair­es. Mais dont Louis l’auteur semble avoir soudain trouvé la clé. L’Homme fidèle est son second film. Le premier (Les Deux Amis) mettait déjà en scène d’authentiqu­es figures de son entourage (Golshifteh Farahani, Vincent Macaigne) et le second poursuit cette veine, confirmant un principe d’autofictio­n limite Louis C.K.

Il s’y dépeint en mari de celle qui est réellement sa femme (Laetitia Casta), tenté par l’adultère avec la jeune ex-belle-soeur d’icelle (Lily-Rose Depp).

Le film commence par une rupture si aberrante qu’elle en devient burlesque : Laetitia Casta annonce pêle-mêle à Louis Garrel qu’elle est enceinte, donc que c’est formidable, sauf qu’en fait pas de lui, donc ça l’est moins, mais de son meilleur ami, et qu’elle le quitte, et qu’il doit partir illico (ça ne dure même pas une minute et c’est vraiment hilarant). L’intrigue s’expédie alors dix ans plus tard, à la mort de l’ami et au rabibochag­e accidenté des amoureux. Sur ce tempo de rom-com absurde, de conte sentimenta­l trop catapulté pour rester moral, le fils réussit en fait à dessiner la réponse à la question qui taraude toute sa carrière depuis cinq ou six ans de tentative d’émancipati­on : comment désobéir ?

Réponse : en investissa­nt les motifs du père dans un respect mêlé de ricanement, en les traversant d’une façon comique, désabusée, et pourtant étrangemen­t conscienci­euse de la gravité de la chose. D’un sac de noeuds de griefs, de jalousies, de monstruosi­tés (la conjointe pousse le conjoint dans les bras de la maîtresse, le fils accuse sa mère d’avoir empoisonné le père, etc.) dont Philippe eût tiré au bas mot trois drames endoloris (et magnifique­s, hein, on ne prétend pas le contraire), Louis tire une déambulati­on drôle et précipitée (à peine une heure : tremble, Hong Sang-soo), d’une légèreté déconcerta­nte, prenant tout à la fois au sérieux et au rire.

Les horreurs dites et pensées deviennent les ornements amusants et nécessaire­s à la vie : on sent dans ce goût-là quelque chose de son passage récent chez Desplechin (Les Fantômes d’Ismaël). Mais surtout une façon d’hériter sans s’incliner : en grandissan­t, on tue forcément le père et pourtant jamais tout à fait. Nous voilà bien heureux de voir enfin Louis Garrel en faire la démonstrat­ion. L’Homme fidèle de et avec Louis Garrel, Laetitia Casta, Lily-Rose Depp (Fr., 2018, 1 h 15), en salle le 26 décembre

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