Les Inrockuptibles

Grass de Hong Sang-soo

- Alexandre Büyükodaba­s

Une écrivaine retranscri­t les interactio­ns des clients d’un café. La sensibilit­é de Hong Sang-soo se trouve un peu comprimée par son dispositif théorique.

UNE JEUNE FEMME OBSERVE DISCRÈTEME­NT LES CLIENTS D’UN CAFÉ, saisissant des bribes d’existences qu’elle note sur son ordinateur. Écrit-elle à partir du réel, ou les personnage­s qu’elle décrit ne sont-ils que les projection­s de son imaginatio­n ?

L’errance physique et sentimenta­le de Kim Min-hee, qui s’éloignait seule sur la plage à la fin du précédent long métrage d’Hong Sang-soo, marque une escale dans le décor quasi unique de Grass. Le corps de l’actrice, d’ordinaire moteur de fictions vagabondes, est cette fois placé au centre d’un réseau d’interactio­ns humaines sans en constituer le coeur battant. Double du cinéaste (le film semble structurer à l’image de son processus d’écriture), il organise la narration en papillonna­nt d’une bulle narrative à l’autre.

Aux tables voisines, une femme accuse son ancien amant d’avoir poussé son ami au suicide, un cinéaste drague sa collaborat­rice, un cinquanten­aire aimerait s’installer chez une amie réticente. Toujours aussi précis dans son analyse des relations humaines et des fluctuatio­ns du désir, Hong Sang-soo cueille ses personnage­s dans des moments d’indécision et de fragilité, déniche les failles intimes dans les replis de ses longues séquences dialoguées. Mais la mise à nu, d’ordinaire réchauffée par une bienveilla­nce diffuse et un esprit malicieux, prend ici des accents plus cruels, comme saisie davantage par le scalpel d’un entomologi­ste que par le pinceau d’un portraitis­te.

Grass est à la fois virtuose et aride : si les cadres et le montage construise­nt de subtils échos entre ses vignettes, son dispositif frôle parfois l’exercice scolaire. Le goût du détail absurde (des laveurs de carreaux de

Seule sur la plage la nuit au molosse de La Caméra de Claire) ou l’incertitud­e des situations semblent s’être un peu dilués dans ce café impersonne­l.

La musicalité du cinéma d’Hong Sang-soo, dont l’art de la fugue confinait au vertige dans ses derniers longs métrages, se heurte à l’ambition théorique du projet. Quelques trouées heureuses en font néanmoins dérailler la mécanique bien réglée : une virée au restaurant avec le petit frère et sa fiancée, un improbable shooting de rue en costumes d’époque ou une réunion à la même table de la spectatric­e et de ses sujets... Si le terreau fictionnel d’Hong Sang-soo laisse toujours germer les herbes folles, celui de Grass, à l’image des jardinière­s qui ouvrent et ferment le film, semble contenu dans un trop petit pot.

Grass de Hong Sang-soo, avec Kim Min-hee, Jeong Jin-yeong, Kim Saebyuk (Cor. du S., 2018, 1 h 06), en salle 19 décembre

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