Les Inrockuptibles

Wildlife de Paul Dano

- Emily Barnett

L’acteur et cinéaste Paul Dano dissèque, dans son beau premier long métrage, une famille dysfonctio­nnelle dans l’Amérique des années 1960.

C’EST LÀ QUE TOUT A COMMENCÉ, DANS CES PAVILLONS TYPIQUES DE LA BANLIEUE AMÉRICAINE : la révolte des mères au foyer. A l’instar des fictions et séries qui auscultent depuis une double décennie cette révolution au sein des familles, Paul Dano enfile à son tour son stéthoscop­e pour nous parler du coeur de la femme des années 1960, au risque de nous lasser.

Mais qu’on se rassure, l’acteur, ex-ado tourmenté de Little Miss Sunshine, passé chez Paul Thomas Anderson ou Bong Joon-ho, signe un solide premier long métrage. Pour nous raconter cette émancipati­on féminine adaptée du roman homonyme de Richard Ford, il a eu la bonne idée de faire appel à sa compagne, Zoe Kazan (la petite-fille d’Elia), en tant que coscénaris­te, et de confier sa caméra à Diego Garcia, chef opérateur d’Apichatpon­g Weerasetha­kul

(son sublime Cemetery of Splendour).

Wildlife est l’histoire d’un couple qui se délite sous les yeux d’un fils de 14 ans. Le portrait d’une famille en rupture avec ses fonctions préétablie­s : suite à son renvoi (parce qu’il était trop proche de clients plus riches que lui), le père, employé d’un club de golf, se porte volontaire pour éteindre le feu qui dévore sa région du Montana. Abandonné, le reste de la cellule familiale vacille et survit.

Récit d’une implosion à la beauté froide et crépuscula­ire, Wildlife étreint chaque incendie dans ses ombres bleues, préfère aux coups leurs ondes de choc,

distille la violence dans un halo de doute et d’inquiétude. Ce n’est pas aux actes mais à leurs répercussi­ons que Paul Dano s’intéresse, en restant rivé au point de vue d’un adolescent qui voit, avec la rupture de ses parents, s’effondrer son monde et disparaîtr­e son innocence.

D’un classicism­e très maîtrisé, Dano tire de bouleversa­ntes scènes empoisonné­es, où un protocole de séduction vire au malaise, la galanterie à l’oppression : dans la séquence en question, la mère esseulée (Carey Mulligan) s’adonne lors d’un repas à une piteuse démonstrat­ion de charme avec un veuf argenté, sous les yeux de son fils hébété – scène de gêne suprême où tout réside dans les non-dits : la différence de classe, la parade désespérée d’une femme, la prédation d’un homme, l’impuissanc­e d’un fils.

Au final, c’est moins la libération d’une mère que Dano nous conte, que la fin brutale d’un système qui ne demandait qu’à s’inverser (attention spoiler) : une fois les vestiges du patriarcat réduit à néant, par un feu tout à la fois intérieur et extérieur, c’est le père, et non son épouse, qui enfile son tablier et file à la cuisine, tandis que celle-ci habite désormais un hors-champ inconnu. Le paradis des possibles prend le relais de celui qu’on pensait perdu.

Wildlife - Une saison ardente de Paul Dano, avec Carey Mulligan, Jake Gyllenhaal, Ed Oxenbould (E.-U., 2018, 1 h 45), en salle le 19 décembre

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