Les Inrockuptibles

Un beau voyou de Lucas Bernard

- Jean-Baptiste Morain

L’enquête de la dernière chance pour un commissair­e dans le marasme. Personnage­s farfelus et attachants, ballets sur les toits de Paris… Ce premier film au charme désuet est une belle réussite.

UN JEUNE CAMBRIOLEU­R S’INTRODUIT DANS UN APPART HLM. Il se fait rapidement choper par son habitant principal (Charles Berling), qui s’avère hélas ! être un flic (la lose). Mais qui, curieuseme­nt, propose à son petit voleur de s’asseoir et de boire un jus de fruits avec lui... C’est que le commissair­e Beffrois a besoin de parler. Veuf, il est bientôt à la retraite, ses deux fils sont en train d’emporter leurs dernières “merdes”, comme il le dit. Bref, le flic file un mauvais coton. Et puis une série de vols de tableaux va le sortir de son marasme. Il comprend très vite que le voleur est un malin, puisqu’il ne vole que des tableaux qui ne coûtent pas trop cher, afin de passer inaperçu, de ne pas faire la une des journaux. Comme, dit-on, un arbre donne ses plus beaux fruits avant de mourir, Beffrois va s’accrocher comme un malade à cette dernière affaire qu’il voudrait bien résoudre avec brio. Au fil de son enquête, il va rencontrer tout un tas de personnage­s assez hauts en couleur...

Un beau voyou est le premier film en tant que réalisateu­r du chef opérateur Lucas Bernard et c’est une jolie réussite. Au travers d’une comédie policière, le metteur en scène brosse le portrait souvent mélancoliq­ue de personnage­s farfelus et attachants : un homme revenu de tout qui voit la mort se rapprocher, une jolie restauratr­ice de tableaux, Justine, au caractère bien trempé (l’étonnante Jennifer Decker – de la Comédie-Française), un cambrioleu­r qui passe par les toits et qui est aussi menteur et infiniment rusé (Swann Arlaud), etc.

Les personnage­s, leur vérité l’emportent toujours sur l’intrigue. Des liens touchants naissent entre le gendarme et le voleur, le chat et la souris. Les rôles secondaire­s sont remarquabl­ement bien écrits, comme celui du père de Justine, interprété par l’admirable Jean-Quentin Châtelain, dans lequel on aurait bien vu, à une autre époque, Julien Guiomar. Il y a d’ailleurs quelque chose du cinéma de Philippe de Broca dans Un beau voyou : un certain charme désuet, et puis un goût pour la mythomanie des hommes qui s’inventent des vies plus belles que la vie (Swann Arlaud, avec son petit air inquiétant, est génial de malice), pour les femmes décidées, jolies, libres et sensuelles, les hommes vieillissa­nts qui ne manquent pas de séduction et de folie douce...

Et puis Lucas Bernard s’empare des toits de Paris comme personne, y échafaudan­t des ballets de regards parfaiteme­nt maîtrisés. Et c’est là que surgit soudain, entre deux cheminées, grandiose, un nouveau voleur masqué, personnage poétique, romanesque et hautement cinématogr­aphique (comme dans Les Vampires de Feuillade ou La Main au collet d’Hitchcock...). C’est donc un drôle de mélange que ce Beau voyou, à la fois comique (avec notamment une scène d’évasion particuliè­rement poilante), un peu foufou et amer, où l’inspecteur Beffrois, le flic qui aime la peinture contempora­ine, sourit bien trop pour être aussi serein qu’il essaie de le faire croire, et qui fait un peu penser à Bellamy, ce flic que jouait Gérard Depardieu dans le dernier film de Claude Chabrol.

Un beau voyou de Lucas Bernard, avec C. Berling, S. Arlaud, J. Decker (Fr., 2019, 1 h 44), en salle le 2 janvier 2019

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