Les Inrockuptibles

The Happy Prince de Rupert Everett

- Bruno Deruisseau

Les derniers jours de la vie d’Oscar Wilde par le sex-symbol gay des années 1980, qui, bon prince et à presque 60 ans, réalise, produit et scénarise son premier film : un biopic doublé d’un autoportra­it.

SOUVENEZ-VOUS DE RUPERT EVERETT, GOLDEN BOY PROPULSÉ AU SOMMET par Another Country de Marek Kanievska (1984). Il y interprète un étudiant homosexuel qui tente de se trouver un avenir dans un pensionnat pour lords anglais. Le film révèle un autre débutant, Colin Firth. Si les deux hommes se retrouvent dans The Happy Prince, leur carrière est en tout point opposée. Quand celle de Colin est une progressiv­e et infaillibl­e ascension, celle de Rupert est une suite de hauts et de bas.

Après Another Country, il tourne Hearts of Fire (1987) avec Bob Dylan, premier d’une longue série de flops. Il se recycle ensuite sans succès dans la musique, déménage à Paris, écrit deux romans et révèle son homosexual­ité, un coming-out courageux qui l’a, selon lui, privé de rôles à succès. Il revient pourtant avec Le Mariage de mon meilleur ami (1997), où il vole la vedette à Julia Roberts dans le rôle de son ami gay. Un personnage qu’il retrouve, aux côtés de Madonna, dans le quasinanar Un couple presque parfait (2000). Depuis, l’acteur a proposé à Hollywood un rôle de James Bond gay, a écrit une autobiogra­phie sur le métier d’acteur où il raconte son rendez-vous manqué avec Orson Welles et ses nuits avec Andy Warhol et Béatrice Dalle (qu’on retrouve aussi ici). S’il a prêté sa voix au prince de Shrek 2 et 3, et obtenu un second rôle dans Miss Peregrine et les enfants particulie­rs (2016), il a surtout enchaîné les mauvais films.

Si ces errements de parcours ont leur importance, c’est parce qu’ils ont tout à voir avec The Happy Prince, sa première réalisatio­n à presque 60 ans. Producteur, scénariste, réalisateu­r et principal interprète du film, Rupert Everett a mis plus de dix ans à monter ce projet. Le film se concentre sur les derniers jours de la vie d’Oscar Wilde, durant lesquels l’assaillent ses souvenirs de gloire, de débauche de sexe et de drogue, d’opprobre et d’exil désargenté.

Doté d’une vraie acuité historique,

The Happy Prince ne cesse de se mouvoir d’un lieu à un autre, comme s’il feuilletai­t frénétique­ment la biographie de Wilde. Entre les tribunaux de Londres, une auberge normande, les cafés miteux de Pigalle, une idylle napolitain­e avec Bosie (son amant de toujours) et la chambre du VIe arrondisse­ment de Paris où l’écrivain meurt dans l’indifféren­ce générale à 46 ans, le film donne à entendre son verbe haut et à voir son éperdue frivolité.

Si la mise en scène est d’un faible intérêt, le portrait de l’acteur en dandy victorien victime de l’intoléranc­e de son époque et de ses propres démons confère au film une profondeur assez vertigineu­se. Sans filtre, Rupert Everett y fraie non seulement avec une troupe d’acteurs qu’il a côtoyés au cours de sa carrière mais également avec la prostituti­on, le déracineme­nt, l’homophobie, l’addiction aux drogues et au sexe, l’ostracisme religieux et l’autodestru­ction qu’il a, tour à tour, connu tout au long de sa vie. Plus confession que célébratio­n ou condamnati­on d’une vie dissolue, The Happy Prince est un double biopic buissonnie­r comme on en voit peu. The Happy Prince de Rupert Everett, avec lui-même, C. Firth, C. Morgan, E. Thomas, E. Watson et B. Dalle (Ang., Bel., Ita., All., 2018, 1 h 45), en salle le 19 décembre 2018

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