Les Inrockuptibles

Plan-plan cucul

- Olivier Joyard

Deux copines paient un escort boy pour jouer l’amoureux d’une autre. PLAN COEUR, la deuxième production française de Netflix, paraît obsolète dans un paysage sériel qui a considérab­lement fait évoluer la sexualité féminine.

NETFLIX ANNONÇAIT, IL Y A QUELQUES MOIS, UNE NETTE AUGMENTATI­ON de sa production hexagonale dans les années à venir, et quelque chose comme l’espoir d’un monde meilleur (de la fiction française) affleurait. Après l’accident industriel nommé Marseille, la seconde série originale commandée par la plate-forme américaine vient d’arriver, avec l’ambition de proposer une romcom (comédie romantique) fabriquée à Paris, certifiée 100 % contempora­ine. Sauf que Plan coeur (réalisée par Noémie Saglio, d’après l’idée originale du scénariste anglais Chris Lang) laisse pantois du début à la fin.

L’intrigue a pourtant quelques atouts, qui reposent sur l’imposture comme ressort comique et narratif : Charlotte (Sabrina Ouazani) et Milou (Joséphine Draï) trouvent que la lose sentimenta­le d’Elsa (Zita Hanrot) a assez duré et lui payent Jules le gigolo (Marc Ruchmann) sans qu’elle ne le sache. Les dates s’enchaînent. Vont-ils s’aimer pour de vrai ? La réponse se trouve (presque) dans la question, et Plan coeur n’exploite malheureus­ement pas du tout le potentiel burlesque de son pitch pour se “concentrer”, au contraire, sur son aspect le plus problémati­que : l’idée qu’une femme a besoin d’un homme pour s’épanouir. Elsa avance en héroïne sans désir, mue par ce qui devrait lui manquer, constituée par le regard des autres.

Très vite, il devient assez ahurissant de constater que ces huit épisodes, censés explorer les méandres amoureux des trentenair­es urbains contempora­ins (pourquoi pas ?), ont le goût et les couleurs d’une autre époque, où rien ne serait plus important que de se caser, où les garçons expliquera­ient aux filles comment réussir dans la vie, où la sororité n’aurait pas une importance particuliè­re – alors que les mecs s’aident toujours entre eux. Un tel niveau d’aveuglemen­t sur ce qui traverse une partie de la jeunesse en quête de fluidité et d’ouverture d’esprit, cela devient un exploit.

Si les décors sont bien ceux d’un certain Paris bourgeois d’aujourd’hui, les valeurs véhiculées par Plan coeur sont bloquées dans les années 1990-2000, le charme vintage en moins. La recherche d’une certaine crudité dans le ton (prononcer le mot “bite”, définition du punk ?) ne débouche que sur une forme de vulgarité, sans doute parce qu’elle cache mal le fond plutôt plan-plan de l’ensemble.

Même quand la série décolle un peu (une blague à base de babyphone, une ou deux scènes plus fines dans la deuxième partie de saison sur l’impossibil­ité d’aimer), Plan coeur ne parvient pas à faire oublier son conservati­sme faussement inclusif : deux des trois héroïnes sont des femmes racisées sans que cela ne soit jamais mis en perspectiv­e – la comédienne Zita Hanrot s’est dite satisfaite de ce choix – et quelques détails en disent long, comme l’utilisatio­n systématiq­ue de l’expression “un pute” pour qualifier Jules, comme si le métier de travailleu­r(se) du sexe ne pouvait pas être complèteme­nt masculin, comme s’il fallait tordre la langue parce que la réalité serait porteuse d’angoisse pour nos identités. En l’occurrence, le plus angoissant ici, c’est bien la position de la spectatric­e ou du spectateur.

Plan coeur, sur Netflix

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