Les Inrockuptibles

Hirokazu Kore-eda

- Jean-Baptiste Morain PROPOS RECUEILLIS PAR

Le cinéaste japonais a remporté la Palme d’or à Cannes pour son treizième film, Une affaire de famille. Il vient de terminer à Paris le tournage de La Vérité, avec Catherine Deneuve et Juliette Binoche.

CETTE ANNÉE A ÉTÉ TRÈS CHARGÉE POUR MOI, au point que le Festival de Cannes me semble être déjà un souvenir lointain et vague... Le tournage d’Une affaire de famille s’est terminé en janvier, puis j’ai mis un mois à monter le film. Il était terminé en avril, juste avant Cannes. Dès le mois de mars, j’avais commencé la préparatio­n de La Vérité. En juillet, je faisais des repérages dans Paris avec mon équipe...

L’histoire d’Une affaire de famille s’inscrit dans la réflexion que je mène sur la famille depuis Tel père, tel fils, en 2009. A l’époque, la question était pour moi : “Qu’est-ce qui prévaut ? Les liens du sang ou le temps passé entre un homme et un enfant ?” J’en suis venu à penser que c’est le temps passé ensemble qui compte le plus. Comment décrire une famille qui ne serait pas liée par le sang ? Une phrase m’est venue en tête : “Il n’y a que le crime qui les lie.” Et je suis parti là-dessus.

La Vérité est une propositio­n que l’on m’a faite : Juliette Binoche et moi entretenon­s une relation amicale depuis plusieurs années. Elle m’a dit qu’elle avait envie de travailler avec moi, et parmi les propositio­ns que je recevais, c’est la sienne qui était la plus tentante. Et j’ai établi, avec les années, une relation de confiance notamment avec mon distribute­ur français. Nous avons toujours été extrêmemen­t bien accueillis ici, mes films et moi. Tout s’est agrégé pour que ce film se fasse.

Tourner en français, une langue que j’ignore, était évidemment pour moi un défi. Si cela m’a semblé possible, c’est d’abord parce que j’ai eu une excellente traductric­e. Au mois de mars, nous avions aussi fait toute une série d’essais pour rencontrer les acteurs, et je me suis alors rendu compte que lorsque j’entendais mes dialogues en français, j’arrivais à saisir les nuances au-delà des mots et à déterminer si le ton était juste.

Ça m’a beaucoup rassuré. Le tournage de La Vérité s’est terminé le 12 décembre.

On pourrait se dire que lorsqu’on travaille autant que moi, on n’est plus en contact avec le monde réel. Ce n’est pas du tout le cas. J’enquête beaucoup avant d’écrire mes films, toutes les questions que je me pose en tant qu’individu sont liées aux films que je fais. Je crois que j’ai la chance de faire un métier qui me permet de m’ouvrir sur le monde, de voyager avec mes films. Si j’avais exercé une autre profession, j’aurais vécu dans un univers très petit. Je ne serais pas aujourd’hui à Paris.

Le regard que je pose sur le monde contempora­in est à la fois pessimiste et optimiste. Je vis la plupart du temps au Japon. Je serais plutôt pessimiste pour mon pays. Le Japon ne s’est jamais trouvé dans une situation aussi critique. C’est un pays de plus en plus renfermé sur lui-même, conservate­ur, un pays qui se trouve dans un processus de réécriture de l’histoire qui est très dangereux.

Je ne pense pas pour autant que faire des films puisse être une solution à quoi que ce soit. La seule chose que les films peuvent faire, c’est peut-être donner à cette société malade, cet organisme atteint, une nourriture saine et équilibrée, qui le régénère et lui fasse du bien. C’est le seul point sur lequel je me montrerais optimiste.

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