Les Inrockuptibles

Amandine Gay

Amandine Gay

- PROPOS RECUEILLIS PAR Fanny Marlier

Dans son documentai­re Ouvrir la voix, elle donne la parole à des femmes noires qui témoignent du racisme systémique en France et en Belgique. Elle livre ici ses réflexions sur MeToo, l’afro-féminisme et le manque de diversité du cinéma.

La question du sexisme et du racisme est au coeur de votre travail. En quoi les effets du #MeToo ont-il nourri votre réflexion ?

Amandine Gay — Ce qui a choqué un certain nombre de militantes noires – dont je fais partie –, c’est l’effacement de Tarana Burke du mouvement MeToo dans un premier temps. Cette afro-américaine avait créé en 2006 une associatio­n pour venir en aide aux femmes noires victimes de violences sexuelles, et avait lancé le mouvement MeToo, dix ans avant l’affaire Weinstein. Mais le #MeToo a d’abord été partagé par des actrices d’Hollywood blanches qui ont par la suite expliqué qu’elles ne savaient pas que cela avait déjà été initié par Tarana Burke. C’est grâce aux militantes afro-américaine­s que cet effacement a pu être mis en lumière et rapidement rectifié. Elle ne figurait pas pour autant sur la couverture du Time Magazine de décembre 2017 qui mettait en scène les différente­s figures du mouvement MeToo, on ne la trouvait qu’à l’intérieur. Tout cela révèle comment,

une fois de plus, les femmes noires peuvent être à l’initiative d’un mouvement global et se retrouver à être quasiment effacées de l’histoire. Toutefois, aux Etats-Unis, les femmes de pouvoir ont eu le mérite de prendre les devants et de traduire le #MeToo par des faits concrets avec la création du fonds Time’s Up.

Il y a eu une vraie solidarité à destinatio­n des femmes précarisée­s. Pour ce qui est des impacts concrets de MeToo dans la société française, il n’y en a tout simplement pas eu. Quels hommes ont été dénoncés ? Et quelles en ont été les conséquenc­es ? Pire encore, en France, les femmes de pouvoir se sont exprimées contre le mouvement. L’élite blanche, bourgeoise, culturelle, parisienne, a fait front pour protéger ces hommes. Elles ont en réalité un rapport très mouvant au sexisme : celui des hommes des élites ne les dérange pas – surtout quand il leur a permis de faire carrière. Par contre, elles vont avoir tendance à dénoncer le harcèlemen­t de rue dès lors qu’il est associé aux hommes racisés issus des banlieues. Le mouvement MeToo n’a eu en France aucun impact tangible. Des gens comme Dominique Besnehard ont porté un ruban blanc en soutien aux violences faites aux femmes quelques semaines avant de déclarer qu’ils aimeraient bien gifler la militante féministe Caroline de Haas. Le problème est là, il n’y a aucune rigueur, aucun fond dans le débat.

Des voix se sont élevées pour dénoncer un mouvement MeToo trop élitiste. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’au contraire, en France, le mouvement a été avant tout populaire grâce aux réseaux sociaux : c’est là qu’il s’est passé le plus de choses, finalement. La parole des femmes s’y est libérée, et pour la première fois, des hommes, et des femmes, ont réalisé qu’ils et elles avaient peut-être un problème avec la notion de consenteme­nt et qu’il existe tout un panel de comporteme­nts à reconstrui­re.

L’organisati­on du festival Nyansapo avait créé la polémique l’année dernière. Pourquoi l’afro-féminisme crispe-t-il autant la France ?

Il faut analyser cette question sous l’angle plus global des différence­s. Historique­ment, la République est une et indivisibl­e, et tout ce qui est différent est perçu comme menaçant. N’importe quelle particular­ité ou particular­isme a ainsi été combattu en France. Que ce soit les Bretons ou encore les Basques, à partir du moment où un groupe revendique son identité, cela crée une sorte de crispation. Il devrait être possible d’affirmer son individual­ité tout en faisant partie de la citoyennet­é. Le multicultu­ralisme est une doctrine politique qui présuppose que l’on est dans des sociétés plurielles où une culture n’est pas supérieure à une autre. On peut tous être différents et fonctionne­r ensemble. Aujourd’hui, les revendicat­ions des afro-féministes se placent sur le terrain des droits civiques : nous sommes nées ici, nous avons les mêmes obligation­s, nous voulons les mêmes droits.

L’industrie du cinéma a récemment avancé, grâce au collectif 5050x2020 dont vous êtes membre, sur la parité et l’égalité femmes-hommes, mais qu’en est-il de la diversité ?

Il faut comprendre la société dans laquelle nous vivons. Les conversati­ons autour du manque de diversité dans le cinéma ont bien eu lieu au sein du collectif où nous considéron­s que le combat ne s’arrête pas à la parité. Seulement, c’est une donnée plus simple à identifier dans un premier temps puisque les statistiqu­es ethniques sont interdites en France. Or, pour résoudre un problème, il faut d’abord le nommer et le quantifier. Néanmoins, des outils peuvent être mis en place : sur leur fiche de poste, les membres des équipes de tournage pourraient par exemple, indiquer s’ils sont noirs ou dans une situation de handicap, et l’on pourrait instaurer un système de bonificati­on en fonction des résultats. Ce procédé existe déjà au Canada ou en Suède, et en Angleterre, la BBC, un organisme public donc, possède un panel de cibles chiffrées à atteindre sur des critères clairs de discrimina­tions, à savoir la race, le genre, la classe et le handicap.

Ouvrir la voix (Arte DVD), dernier documentai­re sorti

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France