Les Inrockuptibles

Micha Lescot et Mathieu Amalric

- TEXTE Fabienne Arvers PHOTO Jean-François Robert pour Les Inrockupti­bles

Conversati­on enjouée avec les acteurs réunis sur scène dans La Collection

La Collection, pièce âpre et drôle d’Harold Pinter, mise en scène par Ludovic Lagarde, réunit pour la première fois sur scène Micha Lescot et Mathieu Amalric. L’occasion de croiser leurs regards sur leur travail et leurs trajectoir­es respective­s pour une conversati­on enjouée.

SAMEDI 9 FÉVRIER. UNE HEURE AVANT LE MAQUILLAGE ET LA POSE DES PERRUQUES, ON RETROUVE MICHA LESCOT ET MATHIEU AMALRIC pour parler de la pièce d’Harold Pinter qui les réunit,

La Collection, mise en scène par Ludovic Lagarde. S’ils se sont croisés sur les tournages de deux films de Noémie Lvovsky ( Demain et tous les autres jours et Camille redouble), c’est la première fois qu’ils jouent ensemble. La silhouette dégingandé­e de Micha Lescot, à la voix mélodieuse, presque vaporeuse, contraste à merveille avec le bloc de présence physique de Mathieu Amalric – que dément pourtant son regard éperdu.

Au théâtre, Micha Lescot a été un acteur immensémen­t proche de Luc Bondy et de toutes ses aventures quand il dirigeait l’Odéon. Au cinéma, Mathieu Amalric est souvent acteur même s’il se déclare avant tout réalisateu­r. Leur réunion sur un plateau de théâtre fait converger des imaginaire­s pas si disjoints que ça, et un appétit commun pour débusquer la fantaisie sous les dehors ternes du réel. “Pendant les répétition­s, je nous appelais ‘le gros et le maigre’, rigole Mathieu Amalric.

Vous voyez ? C’est un court métrage de Polanski. Si on le regarde, on retrouve le même type de plaisir à jouer ensemble.”

Et le même rapport de domination…

La Collection d’Harold Pinter confronte deux couples : le leur, Bill (Micha Lescot) et Harry (Mathieu Amalric), et celui formé par James (Laurent Poitrenaux) et Stella (Valérie Dashwood). James soupçonne fortement sa femme d’avoir couché avec Bill, tous deux travaillan­t dans le milieu de la mode, et mène l’enquête. Une quête de la vérité qui se révèle être un défilé de faux-semblants et de masques.

C’est le soir de la dernière à Lyon avant une tournée qui passera par Reims et Paris. Mathieu Amalric arrive de la fin d’un stage de formation pour acteurs organisé par les Chantiers nomades, ses mallettes de tournage sous le bras. Qu’a-t-il donc tourné ?

Mathieu Amalric — L’acteur Laurent Ziserman les a fait travailler pendant douze jours sur un texte de Claudine Galea, Je reviens de loin.

Claudine est venue deux jours et comme il y a beaucoup de chansons dans ce texte, la chanteuse et actrice Elise Caron est aussi intervenue. Alors, si c’était un film, qu’est-ce que ça donnerait ? Il y a douze participan­ts et la pièce compte quatre personnage­s dans la pièce, ils ont donc fait trois groupes et m’ont montré chacun un spectacle d’une demi-heure quand je suis arrivé le 6 février. Je suis allé tourner tous les jours, de 9 heures à 18 heures, avant d’aller jouer

La Collection. Il se trouve que c’est un texte à partir duquel je fais mon prochain film. C’est ça aussi qui est chouette !

Mathieu et Micha, quelle est la nature exacte du drôle de couple que vous formez dans La Collection ?

Micha Lescot — Je crois qu’il faut l’inventer parce que, dans le texte original, il y a une ambiguïté. On dit que Bill est l’ami d’Harry, on habite ensemble. Je pense que Pinter joue avec ça, il ne le nomme pas, mais il y a une histoire de jalousie. Il y a une possession, en tout cas. Aujourd’hui, je trouverais ça un peu dépassé de faire comme s’ils n’avaient pas de relation sexuelle. Ça n’enlève aucun mystère à la pièce. A partir du moment où on assume d’être un couple, d’avoir une histoire charnelle, ça n’enlève rien à la possibilit­é que j’aie une histoire avec la femme de l’autre.

Mathieu Amalric — C’est-à-dire que lorsque Pinter écrit cette pièce en 1961, l’homosexual­ité est interdite par la loi en Angleterre. Très vite s’est imposé le fait qu’il y a une possession. L’histoire d’amour, je n’en sais rien, mais en tout cas, une possession mutuelle. Une utilisatio­n mutuelle.

Et comme souvent avec Pinter, intervient aussi le mépris de classe.

Mathieu Amalric — Oui, et de remise en ordre, terrifiant­e. Chacun à sa place. D’ailleurs, c’est Pinter qui a écrit The Servant, le film de Joseph Losey.

Micha Lescot — Même si c’est verbalisé à la fin, on se rend compte très tôt que c’est ce qui sous-tend leurs rapports. Quand on est là-dedans, on n’est plus dans des histoires de morale, mais de lutte de territoire, de lutte des classes, et ça devient intéressan­t à jouer parce qu’il n’y a pas de limites.

“On n’est plus dans des histoires de morale, mais de lutte de territoire, de lutte des classes”

La question devient uniquement : qui mène la scène ? Et on s’aperçoit qu’à l’intérieur d’une scène, ça s’inverse. Ces climats que l’on cherche à changer à l’intérieur d’une scène est ce qui nous intéresse comme acteurs, mais là, c’est déjà écrit par Pinter.

Mathieu Amalric — En dehors des histoires de pouvoir, dont on n’avait même pas besoin de s’occuper puisque la pièce le fait pour nous, on devait simplement se préoccuper de ce qui, dans l’intimité de ce couple, fait que, tout de même, ils ont du plaisir à être ensemble. Même si ça a l’air absolument atroce ! Souvent, pour les autres, c’est un mystère, les couples. On se dit : mais qu’est-ce qui fait qu’ils sont ensemble ? A la fin, quand Harry dit de Bill qu’il est “une limace qui n’est pas à sa place et qui vient laisser des traces sur les murs des jolies maisons”, ça peut être une part de son attirance érotique. Un homme qui vient d’ailleurs, évidemment, ça l’excite sexuelleme­nt. Et il a le pouvoir puisque c’est lui qui décide de la sexualité ou pas.

Le coeur de l’histoire repose sur la vérité, ses faux-semblants, ses différents masques. Ça pourrait être une définition aussi du jeu de l’acteur ?

Micha Lescot — Complèteme­nt. J’ai eu besoin de me mettre dans un état d’insolence que je trouvais juste par rapport à ce que j’avais à dire, à jouer, la position que j’avais à tenir. Ce n’est pas cynique, en tout cas. Trop facile, quand on travaille Pinter d’être de ce côté-là. Parce que l’on n’est pas sérieux. Alors que l’on peut être insolent, provocateu­r et en même temps très sérieux. Et en face, j’ai Mathieu qui a cette facilité à être dérangeant. Il n’a pas du tout pris le parti convention­nel de jouer l’amant éploré et, très vite, c’était comme une émulation. Et drôle, aussi, par rapport à l’autre couple, qui traverse des choses plus douloureus­es. Pour en revenir à cette histoire de vérité dans le jeu de l’acteur, c’est frappant, ce masque que vous portez en ouverture du spectacle…

Mathieu Amalric — C’est Ludovic (Lagarde) qui a eu cette intuition et c’était lié au titre de la pièce : pourquoi ça s’appelle La Collection ? La collection de mode, évidemment, mais avec Sophie Engel, la dramaturge, ils se sont dit qu’Harry collection­nait les hommes aussi puisqu’il sort tous les soirs. Ludo a relié le masque à l’acte sexuel, à la possession ou au scalp peut-être. Il revient avec des scalps ! Moi, en tout cas, je joue ça. Quand je mets ce masque, je pense : “Encore un.”

Micha, vous avez déjà joué plusieurs pièces de Pinter ?

Micha Lescot — Oui, d’abord avec Roger Planchon, Célébratio­n, en 2005, la dernière pièce de Pinter. Des couples sont attablés dans un restaurant et je jouais un serveur complèteme­nt fou qui rentre dans les conversati­ons en parlant de son grand-père. Après, Luc Bondy a décidé de monter Le Retour en 2012 quand il a pris ses fonctions à l’Odéon.

Il y avait une distributi­on assez folle (Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher et Emmanuelle Seigner – ndlr). Mon personnage était un maquereau, un fils très trouble, et Luc m’avait dit : “Ne sois pas cynique.”

On jouait quelqu’un qui souffrait vraiment, ça n’enlevait rien à l’humour, mais Luc me disait tout le temps : “Va vers la sincérité.” C’était une belle expérience.

MICHA LESCOT

Vous, Mathieu, on vous voit moins au théâtre.

Mathieu Amalric — Mais Ludovic m’appelle, vous vous rendez compte ? Alors, je le fais parce que je ne sais pas le faire, parce que c’est dangereux – et ça m’excite. Vous savez, moi, ma vie, c’est d’écrire et puis de fabriquer des films.

Et de jouer ?

Mathieu Amalric — Non, des gens m’ont amené à jouer. Sinon, je n’y pense pas. Je viens de la technique, depuis l’âge de 17 ans. Arnaud Desplechin m’a fait jouer une première fois, mais quelque part, ça fait partie des métiers manuels du cinéma. Alors qu’au théâtre, passer à un travail sur le corps entier, vu tout le temps, sans gros plans, ça me fait très peur – donc j’y vais. Parce que ce sont eux. Pour moi, c’est vraiment La Rose pourpre du Caire de Woody Allen à l’envers, si vous voulez. J’ai tellement de bonheur à aller les voir, en tant que spectateur, et c’est comme s’ils me disaient : “Viens avec nous.” Je serre les dents, j’oublie toute humilité, tout ce qui concerne la peur qui n’est pas forcément une chose très intéressan­te, surtout en répétition. Tu plonges et tu y vas. Et vive le ridicule !

Micha, quelles ont été vos expérience­s les plus marquantes au cinéma ?

Micha Lescot — Les trois films que j’ai faits avec Claire Denis et les deux avec Noémie Lvovsky. Avec Claire, c’était à mes débuts et avec elle, c’est unique parce qu’elle met dans un état un peu particulie­r. La première fois, c’était un film pour Arte, US Go Home (les deux autres films sont Vendredi soir et Nénette et Boni – ndlr), on était tous de jeunes acteurs et le film se passait pendant une soirée dans les années 1960. On avait passé presque une semaine à faire la fête et elle, elle filmait et organisait son tournage. C’était très beau, ça flottait un peu, j’ai adoré ça. Le dernier film avec Noémie Lvovsky, Demain et tous les autres jours, était aussi tellement étrange. Je faisais la voix d’une chouette qui parle avec une petite fille. J’étais sur le tournage chaque fois qu’intervenai­t la chouette, la petite fille avait une oreillette et elle pouvait m’entendre. J’étais dans une pièce à côté, j’avais deux écrans de contrôle et je pouvais improviser. J’avais même poussé le truc jusqu’à me mettre une espèce de costume, alors qu’on ne me voit pas à l’image. Et puis aussi Saint Laurent de Bertrand Bonello où je jouais Monsieur Jean-Pierre, le chef d’atelier. Il tournait en 35 mm, tout le monde était hyperconce­ntré, c’était un tournage assez incroyable. Récemment, j’ai eu des expérience­s plutôt rigolotes. J’ai joué un travesti dans un film de science-fiction, Arès, de Jean-Patrick Benes, et un gendarme enrhumé dans Ulysse et Mona de Sébastien Betbeder.

Quels sont vos projets ?

Micha Lescot — Beaucoup de théâtre. En mai, je joue dans une pièce de Rémi De Vos, Départ volontaire, montée par Christophe Rauck. C’est une pièce très violente sur la justice.

A la rentrée, je vais jouer dans La Dame de chez Maxim de Feydeau, mise en scène par Zabou Breitman avec Léa Drucker, André Marcon, Anne Roger, Christophe Paou. Et après, En attendant Godot de Beckett avec Alain Françon. Je jouerai Lucky. C’est celui que je préfère ! C’est bien qu’il s’agisse de choses très différente­s. J’ai été tellement en peine de la disparitio­n de Luc Bondy (le metteur en scène est mort en 20015 – ndlr)… j’en suis un peu inconsolab­le. C’était mon ami, nous avons travaillé ensemble pendant huit ans, on se voyait presque tous les jours. Une fois qu’il a été parti, ça a été compliqué. Aujourd’hui, je trouve très sain de passer d’un univers à l’autre, ça me fait du bien.

Mathieu, demain, vous repartez à Angoulême pour le tournage de The French Dispatch de Wes Anderson, comme acteur ?

Mathieu Amalric — Oui, on peut même dire comme marionnett­e ! Vous pouvez imaginer comment sont faits les films de Wes. C’est un homme de troupe. Une troupe qui s’est encore agrandie. J’ai la chance de le connaître un peu et c’est absolument extraordin­aire à vivre et à regarder. Il faut être très bon en anglais, en vitesse, en dextérité, en adresse physique. C’est quelqu’un qui tourne toujours en pellicule et il ne fait pas de prises : il vide des magasins entiers. Tu joues plusieurs fois, à tous les rythmes possibles ou de plus en plus vite. D’où cette électricit­é qu’il y a dans ses films, avec une langue très belle, avec des mots compliqués en anglais. Voilà, faut être bon quoi ! Et puis, je vais surtout faire un autre film à moi. C’est ça ma vie. C’est un mélo.

Il s’appellera comment ?

Mathieu Amalric — Je ne sais pas encore. J’ai déjà écrit quelque chose, c’est totalement inspiré, déclenché par les larmes à la lecture de cette pièce de théâtre de Claudine Galea qui n’a jamais été jouée, Je reviens de loin.

Elle parle de quoi ?

Mathieu Amalric — Ah ! (Silence.) Une femme s’en va… Voilà. Ça a l’air d’être ça. Je suis en repérages et je prépare le film. Je n’ai pas envie d’en dire plus… La Collection d’Harold Pinter, mise en scène Ludovic Lagarde. Du 27 février au 1er mars à la Comédie de Reims. Du 7 au 23 mars au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Xe

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Valérie Dashwood et Micha Lescot dans La Collection

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