Les Inrockuptibles

Variations folk

Dans un troisième album pour lequel elle s’est confrontée à l’enregistre­ment en studio, JESSICA PRATT charrie sa voix singulière et porte haut ses douces mélodies.

- François Moreau

TUEZ LA RELIGION, LE SACERDOCE DEMEURERA. Des pionniers de la Carter Family, nichés dans les Appalaches, aux saillies loufoques et subversive­s des Moldy Peaches au début des années 2000, du revival contestata­ire des clochards célestes de Greenwich Village au mitan des sixties contre-culturelle­s, aux enregistre­ments grandioses de Fleet Foxes, le folk, genre musical racé par excellence, a pris bien des formes, au point que toute tentative de définition univoque risquerait de nous faire passer à côté des merveilles qui hantent ses marges.

Jessica Pratt ne dirait d’ailleurs pas que sa musique est folk ; l’auteure-compositri­ce américaine brouille plutôt les pistes et déconcerte. Par son allure déjà. Elle vit sous le soleil californie­n, mais tout chez elle nous ramène au Southern Gothic et ses fantômes : sa tunique noire, ses yeux, mystérieux, cernés par un trait de maquillage qu’elle porte comme un talisman, sa prestance quand elle se tient debout devant nous, dans une posture qui rappelle celle de Karen Elson sur la pochette de l’album The Ghost Who Walks. Par sa musique ensuite, difficile à classer. Elle évoque un coup l’époque Laurel Canyon de Joni Mitchell, une autre fois la Old, Weird America, théorisée par ce bon vieux Greil Marcus, lorsque l’essayiste tente de mettre un nom sur les vieux enregistre­ments folk des années 1920. C’est peut-être aussi le son chaud de sa guitare classique qui interpelle, le pincement du nylon ou le souffle bourdonnan­t qui traverse le disque comme le diamant sur le vinyle.

Pour la première fois pourtant, Jessica enregistre dans un vrai studio, ses deux albums précédents, Jessica Pratt et On Your Own Love Again, ayant été conçus dans une chambre. Pas une raison pour faire des infidélité­s à son approche analogique de la création, elle qui a une peur panique des artifices qui pourraient venir altérer sa musique : “L’environnem­ent n’est pas mon influence la plus directe, je dirais que c’est plutôt le confort. J’étais préoccupée par l’idée que trop de temps ne sépare l’écriture de l’enregistre­ment ; avant, j’écrivais et j’enregistra­is mes chansons dans la même pièce, c’était quelque chose d’intime et d’immédiat. J’ai appris à prendre le temps qu’il faut pour utiliser les bons outils et reproduire cette intimité ailleurs.”

Quiet Signs a donc été écrit à Los Angeles et enregistré à New York, chamboulan­t ainsi une méthode d’écriture qui joue d’abord sur les formes et les murmures : “Je joue et je chante en même temps, c’est comme cela que la structure apparaît. La mélodie, le son des mots, tout cela arrive d’un coup. Il peut arriver qu’une phrase concrète fasse son apparition. Une fois que j’ai la forme de la chanson, j’ai juste à y revenir et à découvrir si les mots sont appropriés au feeling du moment”, confie-t-elle. Ces deux premiers albums ressemblai­ent à des recueils, Quiet Signs forme un tout qui s’égrène des premières notes de piano jouées par Matt McDermott, son compagnon

– sur un instrument­al donnant le ton, et qui ne devait être joué qu’en live à l’origine –, pour se poursuivre tout au long d’un disque au mysticisme intemporel. Son sacerdoce à elle.

Quiet Signs (City Slang)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France