Les Inrockuptibles

La Liberté de Guillaume Massart

- Jacky Goldberg

Si Grâce à Dieu d'Ozon accompagne la libération de la parole de victimes d’agressions pédophiles, ce documentai­re très fort s'intéresse à celle d'hommes coupables d’inceste sur mineurs dans un centre de rétention ouvert.

IL ARRIVE QU’UNE GRANDE SCÈNE SUFFISE À JUSTIFIER UN FILM.

S’il serait injuste de ne retenir de

La Liberté, premier long documentai­re de Guillaume Massart, que son ultime scène, il faut reconnaîtr­e qu’elle est proprement inouïe. Et rejaillit, a posteriori, sur tout ce qui la précède. Le montage semble ainsi avoir été conçu pour qu’elle apparaisse comme une acmé (presque un twist à la Shyamalan), dont l’émotion résonne encore de longues heures après la projection. Sans la dévoiler disons simplement qu’elle couronne, par une anecdote surgie d’un passé traumatiqu­e, racontée face caméra par celui qui en est à la fois la victime et le bourreau, une démarche visant à panser le monde par les mots et, puisque le titre nous y invite, par la liberté.

Cette liberté est toutefois paradoxale, davantage fantasmée que vécue par les protagonis­tes du film, qui sont tous prisonnier­s dans un centre de rétention unique en son genre : Casabianda, en Corse. Là, depuis 1948, sont essentiell­ement envoyés ceux que le jargon pénitencie­r nomme des “infracteur­s sexuels intrafamil­iaux” : des hommes coupables d’inceste sur mineurs – soit l’un des crimes les plus infamants qui soient. Ils y purgent la fin de leurs longues peines sous un régime particulie­r :

la prison est ouverte, sans barreaux ni murailles, avec le ciel, la forêt et la mer pour seules limites. Or pratiqueme­nt personne n’a jamais cherché à s’en évader, et le taux de récidive une fois dehors est très faible. Par quel miracle ?

C’est ce qu’a cherché à comprendre le documentar­iste Guillaume Massart, auteur de nombreux courts métrages, en se rendant régulièrem­ent, une année durant, dans ce lieu chargé de paradoxes. D’abord à tâtons, de loin, pour ne pas brusquer ces étranges et inquiétant­s bagnards marqués du sceau de l’infamie, mais faisant surtout le choix, audacieux, d’assumer sa place de filmeur. C’est-à-dire de laisser visibles et audibles les questions, les doutes, les choix de placement de la caméra, bref les coutures.

En résulte un film brut, voire brouillon, mais dont la maladresse apparente, on le comprend au fur et à mesure, va se révéler la meilleure alliée. Face à l’obscénité des certitudes, Massart oppose un salutaire tremblemen­t. Qui ébranle. Et cette approche lui permet, par de longs échanges cathartiqu­es, de donner un sens, concret, aux conception­s souvent abstraites de rédemption, de culpabilit­é et de peine (dans tous les sens du terme). La Liberté de Guillaume Massart (Fr., 2017, 2 h 26)

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