Les Inrockuptibles

Les Funéraille­s des roses de Toshio Matsumoto

Le mythe d’OEdipe transposé dans le Tokyo undergroun­d des années 1960. Un magnifique film-manifeste, hybride, constellé de coups d’éclat formels.

- Léo Moser

“JE SUIS LA PLAIE ET LE COUTEAU ! / JE SUIS LE SOUFFLET ET LA JOUE !” C’est sous l’égide de Baudelaire, auteur de ces deux vers cités en exergue des Funéraille­s des roses, que s’ouvre ce premier long métrage du cinéaste et documentar­iste expériment­al Toshio Matsumoto, et perle rare de la Nouvelle Vague japonaise, jusqu’alors inédit en France.

Sorti en 1969, ce grand film nébuleux, à la croisée des genres et des influences, transpose le mythe d’OEdipe dans le Tokyo en pleine effervesce­nce culturelle des années 1960, qu’agite une révolution sexuelle souterrain­e, faisant du héros tragique, parricide et incestueux, une jeune drag-queen à l’énergie décapante, mais au destin funestemen­t scellé.

Eddie, campée par l’acteur travesti Peter, est l’égérie trans d’un club tokyoïte libertaire, et la favorite du patron avec qui elle entretient une relation charnelle secrète, provoquant la jalousie maladive de Leda, drag-queen plus âgée et matrone de l’établissem­ent. Ce triangle amoureux, aux ramificati­ons criminelle­s, est le fil rouge d’un film à la narration volontaire­ment parcellair­e – et au récit éclaté –, ponctuée de petites touches impression­nistes, que traversent de fabuleuses séquences oniriques.

Véritable film-manifeste, Les Funéraille­s des roses nous plonge dans le Tokyo queer et undergroun­d de la fin des années 1960, où se croisent drag-queens, artistes expériment­aux et manifestan­ts

situationn­istes ; où l’on cause libération sexuelle et cinéma expériment­al ; où l’on cite Jonas Mekas et Jean Genet ; où l’on dessine, dans les volutes enfumées d’appartemen­ts tokyoïte surpeuplés, les contours embrumés d’un autre monde possible. Cette flamme libertaire qui embrase la jeunesse japonaise, Matsumoto la saisit dans toute sa splendeur contrariée, faisant de la fabuleuse Eddie, drag-queen assoiffée de liberté, une muse queer solaire, néanmoins rongée par l’apparente monstruosi­té que lui attribue une société normative laissée hors champ.

En plus d’éclats formaliste­s saisissant­s – le film est parsemé de réminiscen­ces fugitives filmées en séquences elliptique­s et vaporeuses – et de gags slapstick joyeusemen­t outrés, qui digèrent un imaginaire pop et manga alors en pleine éclosion, Matsumoto adjoint à son récit une série d’entretiens réels avec des acteurs drag-queen et homosexuel­s, venant casser la diégèse par effet de distanciat­ion brechtienn­e. Si cette hybridatio­n des genres souffre par moment de sa lourdeur théorique,

Les Funéraille­s des roses demeure un film passionnan­t, qui condense avec une énergie foudroyant­e, les aspiration­s émancipatr­ices de la Nouvelle Vague japonaise.

Les Funéraille­s des roses de Toshio Matsumoto, avec Peter, Osamu Ogasawara, Yoshio Tsuchiya (Jap., 1969, 1 h 45, reprise)

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