Les Inrockuptibles

Berlin : les hauts du hurlement

- Bruno Deruisseau

Sélection paritaire, jeunesse en détresse en ligne de force, et chef-d’oeuvre expériment­al sur la dépression de Frank Beauvais ( Ne croyez surtout pas que je hurle) : retour sur la dernière édition de la Berlinale.

LA 69e ÉDITION DU FESTIVAL INTERNATIO­NAL DU FILM DE BERLIN MARQUE LA FIN D’UN CYCLE. Après dix-huit ans à la tête de la Berlinale, Dieter Kosslick passera l’an prochain la main au duo que forment Carlo Chatrian (ancien directeur artistique du Locarno Festival) et Mariette Rissenbeek (ancienne directrice de German Films). Mais la volonté de parité homme-femme de sa direction se ressentait dès cette année avec, en compétitio­n, la présence record de films réalisés par des femmes (41 % contre 14 % au Festival de Cannes et seulement 5 % à la dernière Mostra). Pour autant, l’ensemble de cette sélection quasi paritaire a, comme depuis plusieurs années, plutôt déçu. Le coeur de la Berlinale bat plus que jamais du côté de ses sélections parallèles, le Forum et le Panorama. C’est d’ailleurs cette faculté d’avoir fait de la Berlinale la terre d’accueil d’un cinéma bis, expériment­al, ouvert aux minorités, exigeant et engagé que l’on conservera des années Kosslick.

Le film que l’on retiendra de cette édition a justement été vu au Forum. Il s’agit de Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais. OEuvre expériment­ale, le film est constitué d’une partie visuelle faite de milliers de plans tirés des quelque quatre cents films dans lesquels le réalisateu­r a noyé sa dépression qu’il décrit en voix off sous forme de journal intime. Cette voix hors champ est d’une force poétique crépuscula­ire inouïe. Frank Beauvais y évoque son isolement en pleine campagne alsacienne, sa rupture amoureuse, la déprime et le désarroi qu’elle engendre, et qui résonnent avec l’enchaîneme­nt sordide des attentats dans le monde. A bien des égards, ce film est une déclinaiso­n cinématogr­aphique du livre

Le Lambeau de Philippe Lançon. Même manière de transcende­r une extrême solitude à travers l’art, même capacité à mêler destin intime et destin collectif, même lyrisme puisé dans les rituels du quotidien. Et ne croyez surtout pas que cette oeuvre n’est qu’une suite de citations cinéphiliq­ues. On ne reconnaît presque rien. La valeur de plan privilégié­e par le réalisateu­r est le gros plan, comme pour mieux réveiller l’imaginaire du spectateur. A nous de relier ces séquences entre elles, de recréer l’espace mental et spatial de la crise existentie­lle que leur auteur traverse. Réflexion alerte sur notre société, sur la nécessité du cinéma et les douleurs de la vie, Ne croyez surtout pas que je hurle est le chefd’oeuvre du festival.

Plus généraleme­nt, la ligne de force sur laquelle se positionne­nt plusieurs films vus cette année est celle d’une jeunesse en détresse. La Berlinale 2019 renvoie le reflet d’un monde où être jeune n’a jamais été aussi dur, d’un monde qui a donc perdu toute innocence. Chez les français François Ozon ( Grâce à Dieu) et André Téchiné ( L’Adieu à la nuit), cette perte d’innocence est due aux dérives religieuse­s (pédophilie de prêtres protégés par l’Eglise catholique ou islamisme radical). Dans La Paranza dei bambini, le film de Claudio Giovannesi adapté du roman de Saviano, c’est la mafia qui ôte l’innocence, et bien souvent la vie, des jeunes des quartiers de Naples.

Pour retrouver une forme de candeur juvénile, Mid90s de Jonah Hill se replonge dans le siècle précédent, tandis que Jessica Forever de Jonathan Vinel et Caroline Poggi et Light of My Life de Casey Affleck donnent à voir un futur où la survie de la jeunesse passe par la recréation d’un monde en dehors du monde. Seul film à appeler à une véritable révolte, Nos défaites de Jean-Gabriel Périot – dans lequel des lycéens s’emparent d’extraits de films politiques des années 1960-1970 –, qui sonne comme le cri de rage d’une jeunesse pas si dépolitisé­e que cela.

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Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais

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