Un air de famille
Dans son Hamlet, LISABOA HOUBRECHTS a l’idée audacieuse de distribuer les rôles à la femme et aux enfants du metteur en scène Jan Lauwers.
MONTER UNE TRAGÉDIE S’APPARENTE SOUVENT À JOUIR DU MALIN PLAISIR de retourner le couteau dans la plaie des histoires de famille. Jouant les apprenties sorcières pour revisiter Hamlet, la jeune metteure en scène belge Lisaboa Houbrechts fait le pari de prendre Shakespeare au pied de la lettre en distribuant les rôles principaux aux membres d’un clan où le virus d’être acteur s’est transmis naturellement des parents aux enfants.
Dans la famille du metteur en scène et chorégraphe flamand Jan Lauwers, elle choisit sa femme, la danseuse et performeuse Grace Ellen Barkey, pour incarner la reine Gertude, le rôle d’Hamlet revenant à leur fils Victor et celui d’Ophélie à leur fille Romy Louise. Jan Lauwers n’a pas été oublié, mais nul besoin pour lui d’apparaître en chair et en os sur le plateau. Comme on s’en doute, le personnage du père assassiné revient de droit au chef de famille. C’est son visage qui apparaît sur les portraits du roi défunt accrochés dans le décor, tandis que son spectre ne va jamais cesser de hanter Hamlet pour obtenir vengeance. Ce choix cruel cantonne l’artiste au rang de simple spectateur. Condamné à se mêler à la foule du public lors de la soirée de la première au Kaaitheater à Bruxelles, c’est du côté de la salle que Jan Lauwers découvre le spectacle.
La scénographie d’Oscar Van der Put s’amuse de clins d’oeil aux installations d’art plastique, et les projections sur la toile de fond évoquent les cartons décorés du cinéma muet. Arraché au plateau à la manière d’un ectoplasme dont on souhaite se débarrasser, l’immense voile qui couvre le sol est emporté vers les cintres tandis qu’au fil des actions, la scène passe comme par magie du noir au blanc. On sait l’OEdipe au coeur d’Hamlet – mais que dire du fait que Victor Lauwers joue ici face à sa propre mère, alors que celle qui incarne sa promise est en réalité sa soeur ?
Se confronter en famille aux situations proposées par Shakespeare aurait pu virer très vite à des travaux pratiques sur les rapports incestueux. L’aiguillon du réalisme s’avère un magnifique tremplin pour Lisaboa Houbrechts qui fait le choix d’un théâtre monstre : chaque acte se joue dans un violent bras de fer qui démonte les fantasmes du prince pour se transformer sans ambiguïté en une ode à la liberté des femmes qui l’entourent. A 27 ans et à travers ce regard féministe porté sur le monde de Shakespeare, Lisaboa Houbrechts fait une entrée fracassante dans la petite communauté de ceux qui comptent sur les scènes européennes.
Chaque acte se joue dans un violent bras de fer et se transforme en ode à la liberté des femmes
Hamlet de William Shakespeare, mise en scène Lisaboa Houbrechts, scénographie Oscar Van der Put.
Le 26 février, festival Cabaret de curiosités, Le Phénix, Valenciennes. Tournée européenne jusqu’en mai