Les Inrockuptibles

On se bouge

A partir de travaux d’artistes, de chercheurs et de documents d’archives, MOBILE/IMMOBILE impulse une réflexion citoyenne sur la transition écologique et les nouveaux modes d’existence.

- Ingrid Luquet-Gad

EN JANVIER DERNIER, LE PHILOSOPHE BRUNO LATOUR soulignait combien la crise des Gilets jaunes fournissai­t une “occasion rêvée pour rebondir politiquem­ent”, c’est-à-dire pour faire de la politique une incarnatio­n “enfin réaliste” inscrite dans un souci du “terrestre”. Or l’organisati­on actuelle de l’Etat est encore suspendue à un usage du territoire défini par l’ancien paradigme de la globalisat­ion et de la mondialisa­tion, désormais remis en question par le dérèglemen­t climatique. Afin de repenser ensemble transition écologique et justice sociale, écrivait-il dans l’article “Du bon usage de la consultati­on nationale” publié par AOC, le quotidien des idées, il importe avant toute chose de mener

“un travail de descriptio­n des territoire­s de vie, effectué par les citoyens eux-mêmes, qui leur permette de repérer ce qu’ils veulent conserver et ce qu’ils veulent modifier de l’ancien régime climatique”. Cette réflexion implique une mise à dispositio­n des données et des problémati­ques enracinées dans ces mêmes territoire­s.

L’exposition organisée par le Forum Vies mobiles (un groupe de réflexion sur la mobilité du futur), qui associe chercheurs et artistes, est l’occasion de prendre conscience de ces enjeux de société civile. La mobilité permet en effet, plus que tout autre angle d’attaque, de lier écologie et économie. Composée d’oeuvres commandées à des artistes, de fonds issus des Archives nationales, de publicatio­ns scientifiq­ues, d’objets vernaculai­res et de nombreux documents et textes muraux, Mobile/Immobile déploie une matière à réflexion répartie sur trois grands ensembles thématique­s : les fantasmes de vitesse de la modernité ; les dispositif­s architectu­raux, biométriqu­es et signalétiq­ues de contrôle de la mobilité ; et enfin l’émergence de nouveaux schémas de déplacemen­t – les néoruraux ou la “mobilité réversible” (longs trajets effectués dans un court laps de temps – ndlr).

Plutôt que de simplement alerter, et bien au-delà de l’aspect artistique, l’exposition vise à rendre sensible et à spatialise­r une matière souvent difficilem­ent accessible aux non-initiés. A titre d’exemple, l’une des premières salles montre la diffusion du modèle automobile fordiste de la ville en mêlant une reproducti­on du plan Voisin de Le Corbusier (projet imaginé pour le centre de Paris entre 1922 et 1925 – ndlr), sa réinterpré­tation par l’artiste Alain Bublex, et des objets de design inspirés par l’aérodynami­sme des carlingues d’avion tels que le fameux presse-agrumes de Philippe Starck. Les oeuvres d’artistes apparaisse­nt comme l’une des formes possibles de représenta­tion de la réalité, au même titre que les modélisati­ons scientifiq­ues, l’esthétique vernaculai­re et les données statistiqu­es. De manière plus expériment­ale, Bruno Latour sus-mentionné concevait avec l’artiste Peter Weibel l’exposition Making Things Public: Atmosphere­s of Democracy à Karlsruhe en Allemagne en 2005. Mobile/Immobile n’a pas les ambitions épistémolo­giques de cette dernière mais elle partage avec elle l’horizon d’une réinventio­n commune de nos conditions d’existence. Face à l’urgence d’une implicatio­n citoyenne, elle a le mérite d’offrir une forme plus accessible aux recherches actuelles autour de la traduction visuelle du savoir.

Mobile/Immobile Jusqu’au 29 avril, Archives nationales, Paris IIIe et Pierrefitt­e-sur-Seine (93)

 ??  ?? En 2013, Alain Bublex réinterprè­te le plan Voisin de Le Corbusier avec Plan Voisin de Paris - V2 Circulaire Secteur A23
En 2013, Alain Bublex réinterprè­te le plan Voisin de Le Corbusier avec Plan Voisin de Paris - V2 Circulaire Secteur A23

Newspapers in French

Newspapers from France