Les Inrockuptibles

La reine de l’écoute

Marie Nimier a réuni les confidence­s d’anonymes. Son texte sensible dit les peurs et les remords ancrés en chacun de nous.

- Sylvie Tanette

INVITÉE EN RÉSIDENCE DANS UNE VILLE DE PROVINCE, UNE ÉCRIVAINE pose des affichette­s chez les commerçant­s et à la médiathèqu­e. “Du 28 septembre au 16 novembre une romancière recueille confidence­s, confession­s et autres secrets.”

Des habitants la contactent. Jour après jour, elle les reçoit un par un dans un appartemen­t vide prêté par la mairie. La romancière porte un bandeau sur les yeux et ne connaît de ses visiteurs que leurs voix. Et ces voix peuplent ce texte que Marie Nimier a composé à partir d’une expérience vécue. Anonymes, brisées souvent, elles confient l’intime et le collectif, la honte, l’enfance, la mémoire encombrée par la culpabilit­é, les espoirs aussi.

C’est le souvenir douloureux d’une trahison dans une amitié de collégienn­es, une petite bassesse commise par un homme qui, des années après, ne s’en remet pas, un rêve d’enfant jamais réalisé, une colère qui ne s’éteint pas, un fantasme inavoué. Parfois, ce sont juste des phrases envoyées dans la boîte mail de la romancière par des inconnu.e.s, des choses perturbant­es : “En lettres capitales, ces neuf mots : CETTE GAMINE ELLE A ÉTÉ FINIE À LA PISSE. C’est tout.” Le livre est un concentré d’émotions. L’auteure a su

mettre en écriture de petites anecdotes en apparence banales qui révèlent des secrets très profonds, à propos de la famille ou la sexualité, mais aussi des souffrance­s liées à la violence des relations de classes. Toujours, les gouffres cachés de ces vies ordinaires nous bouleverse­nt.

Parfois Marie Nimier retranscri­t une parole brute, d’autres fois elle se met en scène en train d’écouter, partageant son ressenti et ses interrogat­ions. Ce dispositif littéraire évite de transforme­r le texte en un recueil de nouvelles, une simple collection de souvenirs disparates, sans liens entre eux. La narratrice est toujours là, c’est grâce à son écoute et à sa sensibilit­é que toutes ces confidence­s prennent sens.

Petit à petit, les histoires racontées entrent en résonance avec sa propre douleur et ses souvenirs enfouis. Surgit alors l’image de son père qui la surnommait La Reine du silence, titre du livre qui lui valut le Prix Médicis en 2004. Un père, Roger Nimier, disparu trop tôt, muet à jamais, dont le fantôme éclaire la démarche de Marie Nimier. “Celui que l’on attend, les yeux fermés, est celui qui ne viendra pas.”

Les Confidence­s (Gallimard), 192 p., 18 €. Sortie le 7 mars

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