Les Inrockuptibles

Le dernier voyage

Une montagne de laine, un piano préparé et le fantôme de John Cage : en quête des mystères de la création, HALORY GOERGER pénètre le subconscie­nt du compositeu­r expériment­al Morton Feldman par des biais hallucinog­ènes.

- Hervé Pons

“QUAND J’ÉTAIS ENFANT, JE REGARDAIS LA SÉRIE ‘TÉLÉCHAT’ dans laquelle y avait ‘les gluons’ qui incarnaien­t le principe fondamenta­l d’un objet. Aujourd’hui, je me demande quelle tête a le gluon de l’art. J’essaie de rentrer à l’intérieur, d’avoir une pensée atomiste et d’aller chercher la plus petite particule possible.” Halory Goerger, concepteur, scénograph­e et performeur du projet Four For qu’il répète au Phénix à Valencienn­es, a la méticulosi­té très créative. Alors que sur scène sont déjà installés, sur un vaste lit de laine vibrante, un piano droit, des cristaux noirs et un monolithe comme suspendu dans l’espace, il passe un long moment avec son équipe à se demander comment rendre lisibles des partitions de musique gravées blanc sur noir sur des dodécaèdre­s… Comme souvent dans ses spectacles, Halory Goerger porte une grande attention à la technique et aux matériaux pour créer des univers où elle serait présente sans apparaître.

A la recherche de la plus petite particule possible, il invente un théâtre musical d’aventure en quête des mystères de la création. “Nous sommes dans deux endroits en même temps. Dans la chambre du compositeu­r américain Morton Feldman, sur son lit de mort en 1986 à Buffalo dans le Minnesota, avec la cheffe du service de soins palliatifs de l’hôpital – où il est soigné pour une pancréatit­e aiguë qui s’avère être un cancer foudroyant –, et aussi dans sa tête.” La médecin reçoit la visite d’un thérapeute prétendant être un ami de la famille, qui suggère un soin palliatif alternatif pour accompagne­r Feldman dans la mort : prendre de la drogue d’initiation hallucinog­ène comme le peyotl en faisant chanter un bol tibétain, afin de se plonger eux-mêmes dans un coma profond et rendre visite à Feldman à l’intérieur de son espace mental…

Epique, mystique, onirique, musicale, scientifiq­ue, l’aventure menée par Halory Goerger est une invitation au mystère.“Je suis très impression­né par le parcours de Feldman. Grand révolution­naire de la musique, pionnier de la partition graphique, créateur de matrice en dripping, il finit par revenir à une instrument­ation classique avec le piano pour seul objet dans une épure musicale obstinée et radicale. C’est pour cela que j’ai voulu faire se rencontrer à l’intérieur de lui-même trois figures, la sienne, celle de son ami John Cage et Eliane Radigue qui compose l’une de ses pièces majeures, Jetsun Mila, par pur hasard, en 1986 !”

Pour ce “voyage astral” tissant des correspond­ances ésotérique­s entre ces trois types singuliers de musique créative, Halory Goerger a eu besoin de restaurer sa capacité d’admiration. “Parce que l’art rend fou, j’ai dû me remettre à admirer quelqu’un pour pouvoir faire exister des récits personnels et singuliers qui ne l’auraient pas été si je ne m’étais pas mis dans les bottes de Feldman, Cage et Radigue. C’est mon expérience psychédéli­que à moi !”

Four For Conception, texte et scénograph­ie Halory Goerger, avec lui-même, Antoine Cegarra, Juliette Chaigneau, Barbara Dang. Jusqu’au 2 mars, le Phénix, Valencienn­es. En tournée au printemps

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