Les Inrockuptibles

Blick Bassy

1958 Tôt ou Tard/Nø Format Le passionnan­t Camerounai­s honore la mémoire de Ruben Um Nyobè, leader indépendan­tiste assassiné : un album subtil et fort, de dentelle et de révoltes.

- Anne-Laure Lemancel

1958. EN PLEINE FORÊT CAMEROUNAI­SE, des militaires français abattent Ruben Um Nyobè, premier dirigeant politique à avoir revendiqué l’indépendan­ce de son pays, alors qu’il fuit les autorités coloniales. Depuis, la mémoire de ce héros visionnair­e, surnommé Mpodol (“celui qui porte la parole des siens”, en langue bassa), emprunte des chemins tortueux : au Cameroun, aujourd’hui encore, une partie de la population le considère comme un “maquisard”, un “terroriste”. Soixante ans après l’événement, l’émouvant Blick Bassy relie en musique les pages déformées, voire déchirées, de ce livre d’histoire. Dans son dernier disque, 1958, il réhabilite ce personnage-clé de son pays.

Sur des pistes musicales d’une profonde richesse, il suit ses traces, s’immisce dans sa peau, interpelle les jeunes génération­s, hquestionn­e les valeurs actuelles du Cameroun. Pour servir ses mots en bassa, sa langue maternelle, Blick Bassy cisèle une musique, sans batterie ni percussion­s, libre de toute référence, intime et apaisée, aux rythmiques africaines joliment suggérées. Sur des nappes electro, sur une

poignée de notes égrenées et métallique­s, au coeur d’une forêt de sons emmêlés aux mille nuances irisées, des cuivres rutilants s’élancent.

Plus haut encore, sa voix, limpide et forte, s’envole tel un oiseau, s’ancre à nouveau au sol, rugit comme un lion. Ses chansons, douées de mélodies puissantes, possèdent la force et le lyrisme des hymnes guerriers. Sous leurs notes se devinent les battements du coeur, le sang qui coule dans les veines, la course-poursuite et la rage qui jamais n’abdiquera.

Sous la douceur apparente jaillit le feu, l’électricit­é, les révoltes.

Sur cet album-concept, Blick Bassy endosse les apparats du passeur d’histoire, du conteur. La légende raconte que Mpodol cachait, dans son sac de fuyard, une potion d’invisibili­té. Il y a de cela, dans ce disque – des incantatio­ns, de la magie, des forces occultes... On se surprend alors à siffloter ses hymnes à sa suite, le poing levé et le coeur gonflé – pour des racines retrouvées, pour une histoire africaine pacifiée, pour la puissance universell­e des résistance­s.

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