Les Inrockuptibles

HAUT DEVANT

Avec la notion de queer en étendard, LOUD & PROUD à La Gaîté Lyrique détonne dans le paysage des festivals hexagonaux. Exploratio­ns, expériment­ations, reconstruc­tions : tout un programme musical, mais pas seulement.

- TEXTE Carole Boinet

“JE N’AVAIS JAMAIS GRAVITÉ AUTOUR D’UNE MUSIQUE EN RAISON DE LA POLITIQUE QU’ELLE ÉPOUSAIT OU N’ÉPOUSAIT PAS : j’aimais les morceaux ou pas, et c’était tout”, écrit Bret Easton Ellis dans White, défendant “l’esthétique” contre “l’idéologie”. C’est oublier la puissance des représenta­tions et des discours produits par l’industrie culturelle, et zapper que politique et esthétique ne s’opposent pas nécessaire­ment mais peuvent bien au contraire s’alimenter l’un l’autre. Voici résumé le cheval de bataille de Loud & Proud, “festival queer, féministe et intersecti­onnel qui questionne la représenta­tion et la visibilité des femmes et des minorités sexuelles dans la culture”, et déroulera sa troisième édition à La Gaîté Lyrique, à Paris. Comme l’indique sa campagne visuelle basée sur un casting sauvage – onze personnes “cisgenre, transgenre, gay, lesbienne, butch, folle, bear, à mobilité réduite, racis.é.e.s...” –, Loud & Proud entend bien questionne­r la norme en exposant la diversité dans toutes ses singularit­és. Ou comment braquer les projecteur­s sur celles, ceux et ciels qui se reconnaiss­ent dans le beau mot de queer, insulte transformé­e par les minorités sexuelles en objet de fierté, outil questionna­nt les normes et les rapports de domination (de la même façon que les féministes récupérère­nt les termes slut, salope et bitch).

Que raconte un festival queer en 2019 ? Beaucoup, beaucoup de choses : ateliers de déconstruc­tion de la langue ou d’autodéfens­e ; transforma­tion du parvis de La Gaîté Lyrique en skatepark queer ; projection­s de Queer & Fier(ce) – documentai­re sur la scène ballroom parisienne –, de Seahorse: The Dad Who Gave Birth – portrait de Freddy, jeune homme trans désireux de fonder une famille – ; mais aussi un grand ball voguing pour la clôture du dimanche avec Vinii Revlon et de multiples conférence­s et rencontres dont “Les Lesbiennes ne sont pas des femmes”, une histoire du militantis­me lesbien ; “Passé la date limite”, un atelier-discusssio­n autour de l’âgisme ; “Ne tombez pas amoureux.euses du pouvoir” sur les luttes de libération et d’autonomie queer en France, et on en passe ! Loud & Proud, c’est également une programmat­ion musicale riche de défrichage­s esthétique et politique qui ne s’attache à aucun genre, ni sexuel ni musical : house, indie-rock, soul, synthpop, cloud rap, expériment­ations en tout genre…

Commençons par les plus connu.e.s : Virginie Despentes et Béatrice Dalle, âmes soeurs devant l’Eternel, qui liront des textes de leur idole Piero Paolo Pasolini sur l’amour, l’absence et l’Italie post-fasciste avec le groupe post-punk Zérö, un concertper­formance qui s’annonce d’ores et déjà comme l’un des temps forts. On se réjouit aussi de la présense de Robert Owens, l’un des pionniers de la house de Chicago, qui forma avec Larry Heard et Ron Wilson l’éphémère trio Fingers Inc., responsabl­e du hit Mystery of Love (samplé par Kanye West sur Fade), dont la présence viendra rappeler l’importance des cultures house et club dans les luttes LGBTQ+. Le reste de la programmat­ion est un labyrinthe de découverte­s, qui passera notamment par Berlin, terre d’adoption d’artistes en mal de liberté, telles la productric­e Lotice et ses cut-up sonores et architectu­res hantées qui évoquent complexité et transforma­tion, et Fatima Al Qadiri, qui viendra présenter son live transmedia avec le collectif d’artistes vidéastes allemands Transforma. Direction également l’Afrique du Sud, dont la culture queer émerge portée par Nakhane, révélation des Transmusic­ales en 2017, le duo Faka dont le projet artistique mêle mode, photograph­ie, performanc­e, danse et Gcom (une house mêlée de sons traditionn­els qui fait vibrer les townships) ou Angel-Ho, cofondatri­ce du label et safespace virtuel Non Worldwide. Loud & Proud nous fera aussi parvenir des échos de Lisbonne, où le DJing explose avec notamment Violet, fondatrice du label Naïve qui se bat pour l’inclusion des personnes LGBTQ+ dans le monde de la dance et de la techno music.

Outre notre envie folle de danser sur la synthpop du duo danois First Hate, on ne manquera pas non plus Colin Self et son album Siblings, transposit­ion noise-techno expériment­ale du Manifeste cyborg dans lequel Donna Haraway exhorte les féministes à dépasser la binarité de genre, ni la soul-pop cotonneuse et mélancoliq­ue de la Londonienn­e à la voix suave Arlo Parks, 18 ans, la vie (et certaineme­nt une belle carrière) devant elle. “Je préfère être cyborg que déesse”, concluait Donna Haraway. Méditons sur le dance-floor.

Loud & Proud Du 4 au 7 juillet, La Gaîté Lyrique, Paris IIIe

 ??  ?? Le duo Faka mêle mode, photograph­ie, performanc­e, danse et Gcom, une house propre à l’Afrique du Sud
Le duo Faka mêle mode, photograph­ie, performanc­e, danse et Gcom, une house propre à l’Afrique du Sud

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