Les Inrockuptibles

L’âme voyageuse

New-Yorkais d’adoption et uruguayen d’origine, JUAN WAUTERS offre une pop douce-amère qui marche sur les pas sensibles de Jonathan Richman.

- François Moreau

“LE DICTIONNAI­RE EST LE CIMETIÈRE DES MOTS”, écrivait l’auteur argentin Julio Cortázar dans Marelle (1963), son oeuvre majeure. Un roman qui offre plusieurs entrées et sorties : une lecture linéaire partielle (des chapitres 1 à 56) ou de manière active, sautant de case en case, en partant du chapitre 73 et en suivant un ordre indiqué à la fin de chaque chapitre. “Je ne veux pas que mes albums soient le cimetière de mes chansons, nous confie Juan Wauters. Mes chansons sont dans l’air ; ce sont des compositio­ns, des mots, qui peuvent se jouer différemme­nt que sur le disque. Je veux que ma musique vive aujourd’hui, et demain.”

Petit, Juan a l’habitude d’écouter son père lui parler de Julio Cortázar, particuliè­rement au début des années 2000, quand sa famille quitte l’Uruguay, son pays d’origine, pour New York City. A l’époque, Wauters (prononcez Vaters) ne parle pas bien anglais et travaille à l’usine.

Il se souvient d’un temps marqué par le sentiment de solitude et une forme de tristesse mélancoliq­ue. Quand il raconte son histoire, on croit revivre les balbutieme­nts de l’immigratio­n italienne vers les Etats-Unis, relatés dans un récit scorsesien.

Son père, “mi papá”, comme il dit, l’emmène dans tous les musées de la ville et Juanito se laisse aller à l’introspect­ion. Il réfléchit au sens des formes et au but de l’art. Introducin­g Juan Pablo, son deuxième album paru cette année, est marqué au fer rouge par ces errances nostalgiqu­es. Ecrit et composé dans sa chambre au mitan des années 2010, le disque ne sort que maintenant, cinq ans après N.A.P. North American Poetry, son premier solo révélé après le split de son groupe d’indie-rock new-yorkais The Beets.

“J’ai écrit et enregistré ce disque entre 2014 et 2016, c’était l’époque où je jouais pour la première fois sous mon propre nom. C’était un moment de ma vie pendant lequel je me sentais très vulnérable. Les chansons sont introspect­ives. Je me posais la question : comment je veux que la musique fasse partie de ma vie ?” Trop personnel, il ne veut pas le sortir de ses tiroirs. Mais Juan Wauters est du genre à croire au concept de parcours initiatiqu­e. Quelle place pour la musique dans sa vie ? L’idée est mouvante, non linéaire, comme un discours teinté de surréalism­e de Julio Cortázar.

Lui aussi a vécu loin de son pays, appris une nouvelle langue et cherché les instants de grâce dans une réalité à géométrie variable, qu’il suffisait à peine de tordre pour en faire surgir le merveilleu­x. La musique sera donc pour Juan un ensemble de choses, anthropolo­gique, sociologiq­ue, psychologi­que. Un biais pour mieux se connaître, nous dit-il : “Quand j’écris une chanson, je comprends mieux ma place dans le monde.” En janvier, il dévoilait La Onda de Juan Pablo, un album composé sur la route, à travers tout le continent américain, avec des musiciens croisés au détour d’une bouche de métro à Montevideo, ou quelque part dans un restaurant de tacos au Mexique.

Un geste en totale rupture avec la démarche de Introducin­g Juan Pablo : “Il s’agissait d’un disque d’ouverture au monde”, confie-t-il. La pochette de La Onda… le montrait à visage découvert, au milieu d’une foule traversant un passage piéton ; celle de Introducin­g… le fait apparaître dans un kiosque à journaux plein à craquer, caché par le corps flou d’un passant. Deux clichés d’une même réalité saisis dans deux espaces-temps différents. Introducin­g Juan Pablo (Captured Tracks/Differ-Ant)

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