Les Inrockuptibles

Tolkien de Dome Karukoski

Avec Nicholas Hoult, Lily Collins, Colm Meaney (E.-U., 2019, 1 h 52)

- Léo Moser

La jeunesse et les années d’apprentiss­age de l’auteur du Seigneur des anneaux dans un biopic assez entraînant, mais qui a tout d’une coquille vide.

A priori, la vie de J. R. R. Tolkien n’est pas un matériau dramatique évident. Philologue industrieu­x ayant architectu­ré un monde imaginaire tentaculai­re, avec ses peuples merveilleu­x, ses arbres généalogiq­ues labyrinthi­ques et ses langues créées de toutes pièces – immense iceberg littéraire dont

Le Seigneur des anneaux serait la partie visible –, on disait de lui qu’il était un universita­ire sédentaire, plus disposé à mener une vie paisible qu’à partir à l’aventure. Mais passée au filtre d’un pur biopic hollywoodi­en, sa vie devient magiquemen­t cinématogr­aphique. C’est l’un des principaux problèmes du Tolkien de Dome Karukoski, qui, plutôt que d’ausculter l’esprit démiurgiqu­e et nébuleux de l’auteur, nous livre le récit fantasmé de sa jeunesse : de son enfance bucolique dans la campagne anglaise à sa carrière d’universita­ire cahoteuse à Oxford, en passant par son expérience traumatiqu­e de la Première Guerre mondiale. Le cahier des charges du biopic cadenassé y est scrupuleus­ement respecté : une enfance heureuse en forme de paradis perdu, une histoire d’amour longuement contrariée et l’ombre de la guerre comme vecteur dramatique.

Rivé à un académisme ronflant, le film n’est pas désagréabl­e à suivre mais manque cruellemen­t de vertige. Les scènes de guerre qui parsèment le récit, hantées par des visions fantasmago­riques de dragons et de créatures maléfiques se mêlant au chaos des tranchées, occasionne­nt même quelques moments de bravoure formels, que vient hélas plomber un discours symboliste un peu lourdingue. Nicholas Hoult, dans la peau du jeune professeur, livre une prestation à l’image du film : appliquée mais peu habitée, incapable de nous faire sentir les aspérités d’un personnage pourtant complexe. A trop vouloir tordre la réalité pour y creuser un récit héroïque, plombé par une quête d’émotion volontaris­te, Tolkien passe à côté de son sujet, et livre un biopic sans âme.

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