Les Inrockuptibles

Dirty God de Sacha Polak

Ce trajet émouvant d’une héroïne défigurée à l’acide questionne la nature du regard porté sur le corps féminin.

- Emily Barnett

QUE SERAIENT TONY MONTANA, ALBATOR OU EDWARD AUX MAINS D’ARGENT SANS LEURS CICATRICES ? Et cet attribut masculin cool se transforme-t-il chez une héroïne en trait monstrueux, source de honte – comme la Christiane des Yeux sans visage ? Jade a été victime d’une agression à l’acide par son ex-compagnon et doit désormais vivre couverte de cicatrices. Son premier réflexe est de se cacher, d’ensevelir ses blessures sous une tonne de pulls, de fuir les regards. Eventuelle­ment sortir la nuit pour se fondre dans les lumières des discothèqu­es. Elle a ensuite recours à la chirurgie esthétique et s’en va à l’étranger sur les traces d’un cabinet fantôme…

Film tourné à l’épaule, d’une précision quasi documentai­re bien que proche du drame social (Jade doit faire face au manque d’argent et gérer un enfant en bas âge),

Dirty God fait appel à une interprète marquée par des brûlures depuis l’enfance, Vicky Knight, présence nerveuse et agile qui navigue très bien dans ce récit d’émancipati­on. Et peut-être parce qu’elle a appris à vivre avec ces stigmates, elle fait glisser peu à peu Dirty God de la quête d’effacement à la volonté de rendre visible. Ce qu’on ne peut cacher, autant l’exposer.

Les différents masques de Jade tombent, son corps abîmé devient le motif érotique d’une amitié triangulai­re avec un couple d’amis. Entre-temps, le film montre combien ces blessures sont stigmatisé­es en ce qu’elles défient la logique de la femme-objet et du type de désir qu’on projette sur le corps féminin. La réalisatri­ce – néerlandai­se, ancrée pour ce film en Angleterre – invite aussi à sortir de ce regard, qu’on soit mutilé.e, abîmé.e, enlaidi.e ou pas. Jade y parvient et on se remémore le prologue qui transcende par gros plans les cicatrices de la jeune femme en oeuvre d’art, pour la faire d’emblée exister en héroïne scarifiée supercool.

Dirty God de Sacha Polak, avec Vicky Knight, Katherine Kelly, Eliza Brady-Girard (Néerl., Ang., Belg., Irl., 2019, 1 h 44)

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Rebecca Stone et Vicky Knight

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