Les Inrockuptibles

Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre

Un détenu intègre un programme de réhabiliti­on au contact de chevaux sauvages. Matthias Schoenaert­s impression­ne dans ce premier film courageux.

- Théo Ribeton

POUR CELLES ET CEUX QUI TENTENT ENCORE, UN AN APRÈS, de se remettre de

The Rider, portrait sauvage et tragique des dresseurs de chevaux de la Bible Belt, brossé à mi-chemin entre le documentai­re et la fiction par la nouvelle coqueluche de l’indie US Chloé Zhao, Nevada rouvrira forcément quelques cicatrices émotionnel­les. Même décor (l’immensité désertique au centre tant géographiq­ue que mythologiq­ue de l’Amérique, désormais condamnée à l’abandon, sans cow-boy ni espoir), mêmes chevaux (ces mustangs dont la rage animale semble aussi être celle d’une terre et d’un peuple en friche), quoique pas tout à fait les mêmes hommes, car ici ce sont des détenus, prisonnier­s d’un pénitencie­r au milieu du désert qui tente d’en réinsérer une partie en les formant au dressage.

C’en est comme une version plus facile d’accès, easy watching, moins hors norme dans son format – quoique très honorablem­ent pourvue en forces sauvages –, qui nous est proposée ici. Moins fragile aussi : on ne regarde que des mâles puissants et violents, dont le cuir dur et les muscles bandés sont évidemment les versions humaines des créatures brutes et déchues à qui ils doivent inculquer le petit trot, loin, très loin de leur ancienne nature divine – dans ce coin du pays, les mustangs pullulent et s’abîment, mangent dans les poubelles et errent le long des highways. Détenus et chevaux partagent une défaite commune, et donc une tentative commune de dignité.

Il y a certes aussi une part de documentai­re, Laure de ClermontTo­nnerre ayant invité dans son film quelques authentiqu­es ex-convicts, mais c’est surtout avec son principal acteur profession­nel, Matthias Schoenaert­s, que la réalisatri­ce émigrée réussit son plus joli coup : retrouvant le plus fort de sa charge physique, tellurique, évidemment érotique, l’acteur de moins en moins belge et de plus en plus américain semble ici reproduire l’événement de sa première apparition (Bullhead) et signe une partition gracieusem­ent virile, volontiers ambiguë (on en apprendra un peu sur la cause de son emprisonne­ment, et il faudra alors noircir son image trop lisse de Jean Valjean d’un peu de monstruosi­té véritable).

On trouvera à redire de quelques grossièret­és évitables dans l’attirail du gros dur au grand coeur, qui tabasse la larme à l’oeil et respire en grognant comme un sanglier battu, et surtout de l’espèce de kit “clé en main” de fiction carcérale dont s’équipe trop commodémen­t le film pour habiller son arrière-plan (n’a-t-on pas que trop vu ces reptiles contreband­iers sans foi ni loi, ces staring contests de cour de récré, ces séances de parloir lacrymal ?). Reste un sacré retroussag­e de manches, tout de même, de la part d’une réalisatri­ce qui ne pouvait pas plus partir au feu : filmer dans un autre pays que le sien, pour son premier long, et rien d’autre que des corps violents et endoloris, humains et chevaux aux colères imprévisib­les et destructri­ces, âmes damnées du post-western, coincées sur une terre qui tremble sous leurs pas. Robuste.

Nevada de Laure de ClermontTo­nnerre, avec Matthias Schoenaert­s (E.-U., Fr., 2019, 1 h 36)

 ??  ?? Matthias Schoenaert­s
Matthias Schoenaert­s

Newspapers in French

Newspapers from France