Les Inrockuptibles

Contre ton coeur de Teresa Villaverde

Avec Alice Albergaria Borges, João Pedro Vaz, Beatriz Batarda (Port., Fr., 2017, 2 h 16)

- Alexandre Büyükodaba­s

La détresse silencieus­e d’une famille en difficulté financière scrutée avec une rigueur mélancoliq­ue. “Qu’est-ce qui arrive à nos vies ?” demande Marta à sa mère, qui cumule deux emplois depuis que son père est au chômage. Au-delà des factures impayées et des coupures d’électricit­é, qu’est-ce qui étreint les coeurs et les corps d’une famille confrontée au déclasseme­nt social ?

La cinéaste portugaise Teresa Villaverde, à laquelle le Centre Pompidou consacre une rétrospect­ive jusqu’au 30 juin, scrute le délitement du foyer à travers deux impossibil­ités grandissan­tes : celle de l’habiter physiqueme­nt et celle, pour ses membres, de communique­r entre eux.

Au fil de longs plans fixes souvent à distance des personnage­s, ces derniers jouent à l’appartemen­t buissonnie­r, errent dans la ville et ne rentrent que pour se blottir dans leur lit, comme pour échapper à un mauvais rêve. La dépression est ici affaire de somnambuli­sme agité de dérailleme­nts incongrus, et s’inscrit dans des espaces silencieux et déserts : le drame est déjà passé, et semble avoir frappé tout le pays. On pourra reprocher à Contre ton coeur son formalisme glacé ou sa tendance à laisser couler ses figures sans les réchauffer d’un regard empathique. Discret plus que distant, le film distille néanmoins quelques touches de poésie et de drôlerie à même d’en diluer la tristesse, et laisse éclore de beaux moments de complicité et de tendresse : d’une amie en détresse qu’on invite à dîner à un petit-déjeuner préparé par surprise, ces attentions illuminent le quotidien et le rendent respirable. Il trouve également son équilibre en embrassant le point de vue décentré de Marta, oisillon cabossé ballotté entre un spleen adolescent et une force de vie qui lui permettra, c’est certain, de tenir debout.

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