Les Inrockuptibles

De la magie dans l’air

Relecture contempora­ine du folklore catholique à la sauce british, GOOD OMENS conjure ses excès kitsch et clinquants par une gourmandis­e et une joie communicat­ives.

- Alexandre Büyükodaba­s

“CETTE NUIT-LÀ, CELLE OÙ NOUS NOUS SOMMES RENCONTRÉS, il y avait de la magie dans l’air, et des anges dînaient au Ritz.” Pas certain que les auteurs de A Nightingal­e Sang in Berkeley Square, classique de la chanson anglaise popularisé par Vera Lynn ou Frank Sinatra, aient imaginé qu’elle résonnerai­t quatre-vingts ans plus tard avec les péripéties d’une série anglaise. Mais un rossignol qui chante au coeur de Londres n’augure-t-il pas les croisement­s les plus improbable­s ?

L’ange Aziraphale et le démon Rampa battaient déjà des ailes au chevet du monde : sous l’apparence d’un serpent, le second poussait Eve et Adam vers le fruit défendu quand le premier leur offrait son épée pour survivre hors du jardin d’Eden. Après avoir semé leurs bontés et tentations au fil des millénaire­s, les deux meilleurs ennemis, attachés aux joies de la vie terrestre, s’allient pour conjurer l’Apocalypse programmée par leurs hiérarchie­s respective­s.

Cette histoire ne figure évidemment pas dans la Bible. Elle provient de l’imaginatio­n de Terry Pratchett et Neil Gaiman, dont le roman De bons présages a connu un certain succès lors de sa parution en 1990. Longtemps rêvée par le cinéaste Terry Gilliam, son adaptation advient sous les auspices d’Amazon Prime Video et de la BBC, et entre les mains de Neil Gaiman et du réalisateu­r Douglas Mackinnon. Elle prend la forme d’un grand remix contempora­in du folklore catholique et pioche autant dans la sève des récits fantastiqu­es que dans l’essence british des Sherlock Holmes ou Blake et Mortimer.

Cette grande parade laissera sur le carreau ceux qui ne goûteront pas à son esthétique kitsch et clinquante, et perdra une partie du public dans les interstice­s de ses embranchem­ents scénaristi­ques. C’est que la machine à fiction fonctionne en surrégime permanent, entrechoqu­ant dans ses digression­s figure de la sorcière et visage de l’Antéchrist ou relisant l’histoire de l’humanité avec la fantaisie d’un Doctor Who. Les autres seront charmés par sa modernité douce – Dieu est une femme (Frances McDormand) et Adam et Eve sont noir.e.s – et sa joie communicat­ive : la rencontre entre le Bien et le Mal ne se déploie pas en nuances de gris mais en arc-en-ciel flamboyant.

Endossant les rôles principaux, Michael Sheen et David Tennant traversent les épisodes dans un déluge de tenues bariolées, de mimiques outrées et de saillies bien senties. Parfois épuisants, souvent savoureux, leurs échanges tirent peu à peu leur antagonism­e d’origine vers une amitié sincère à la lisière de la romance. Et si le sentiment amoureux ne s’épanouit pas à l’image, les paroles d’une vieille chanson anglaise viendront le confirmer : “C’était une histoire d’amour, on s’est embrassés et dit au revoir, et le rossignol chantait à Berkeley Square.” Peut-être trop fort, pas toujours juste, mais de manière réjouissan­te. Good Omens de Neil Gaiman et Douglas Mackinnon, avec Michael Sheen, David Tennant, Jon Hamm, Frances McDormand. Saison 1 sur Amazon Prime Video

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Michael Sheen et David Tennant

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