Les Inrockuptibles

Les éclaireuse­s

Pourquoi porter aujourd’hui à la scène le “procès de Bobigny” de 1972 ? PAULINE BUREAU nous rappelle que la lutte pour le droit à l’avortement fut longue et douloureus­e. Et que la vigilance reste de mise.

- Fabienne Arvers

VUE D’AUJOURD’HUI, L’HISTOIRE DE MARIE-CLAIRE CHEVALIER paraît complèteme­nt dingue. Violée à 15 ans par un jeune homme, elle se retrouve enceinte, avorte clandestin­ement et manque d’y laisser sa peau. Arrêtée avec sa mère et la “faiseuse d’ange”, toutes les trois se retrouvent au tribunal. Dingue parce qu’elle est dénoncée par son violeur qui, en garde à vue pour un vol de voiture, récidivist­e, négocie sa remise en liberté immédiate en échange de sa dénonciati­on. Pas une fois le viol ne sera évoqué durant son procès. Et le violeur ne sera jamais inquiété.

On est en 1971, la loi qui interdit l’avortement date de 1920. Son avocate s’appelle Gisèle Halimi. Elle vient de signer le Manifeste des 343 paru dans

Le Nouvel Observateu­r et fait de ce procès, avec l’accord des trois accusées, une tribune politique qui accuse une loi injuste. La vie de la jeune fille, relaxée, ne sera pas une sinécure. Montrée du doigt, insultée, elle se terre longtemps dans le silence.

La pièce, écrite par Pauline Bureau à partir du témoignage de Marie-Claire Chevalier, qu’elle a rencontrée, et des minutes du procès publiées chez Gallimard sous le titre Le Procès de Bobigny – Choisir la cause des femmes, se joue simultaném­ent à deux époques : la restitutio­n du passé et le regard porté aujourd’hui par Marie-Claire sur son histoire cohabitent sur le plateau, scindé en deux espaces superposés. La fenêtre de l’appartemen­t où elle vit avec sa mère et sa soeur laisse apparaître une aire de jeu surélevée où se déroulent plusieurs scènes. Deux actrices interprète­nt Marie-Claire : Claire de

La Rüe du Can l’incarne à 15 ans et Martine Chevallier à 60 ans. La première partie de la pièce nous plonge dans la vie quotidienn­e d’une mère célibatair­e (Coraly Zahonero) qui doit faire face à l’adversité et prend le parti de sa fille. Pas de trémolos, ni de grands cris. Juste le courage de réagir et d’affronter l’interdit.

La deuxième partie de la pièce, dévolue au procès, reprend la plaidoirie célèbre de Gisèle Halimi (Françoise Gillard) et éclaire, en quelques chiffres qui font froid dans le dos, sur l’hypocrisie d’une société qui préfère fermer les yeux sur le nombre de femmes qui meurent suite à leurs avortement­s clandestin­s, simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer un médecin ou d’aller à l’étranger où l’avortement est légalisé.

Mais là où la mise en scène fait mouche, c’est dans la galerie de portraits interprété­s par une poignée d’acteurs formidable­s qui jouent plusieurs rôles. Inénarrabl­e Martine Chevallier dans le rôle de Madame Bambuck, l’avorteuse endimanché­e, un peu gauche, délectable Alexandre Pavloff imitant Michel Rocard et savoureuse Coraly Zahonero dans la peau de Delphine Seyrig, tous deux témoins au procès. Un théâtre militant et affûté comme une piqûre de rappel sur la fragilité du droit des femmes selon l’époque et les pouvoirs politiques en place.

Hors la loi texte et mise en scène Pauline Bureau. Jusqu’au 7 juillet, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe

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Françoise Gillard

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