JANE BIRKIN
L’actrice et chanteuse publie le second tome de son journal intime. Entretien au long cours sur une vie sans pareille
Icône sans prétention, JANE BIRKIN publie Post-Scriptum, le deuxième volume de son journal qui couvre la période 1982-2013. L’occasion d’un retour sur une vie faite de rencontres amoureuses (John Barry, Serge Gainsbourg, Jacques Doillon…) et d’un parcours artistique qui l’a vue passer du cinéma populaire au cinéma d’auteur, du théâtre à la chanson.
“JE T’AIME… MOI NON PLUS”, “69 ANNÉE ÉROTIQUE”, “LA DÉCADANSE”, le panier et la ligne androgyne en ont fait une icône. Elle a accompagné notre enfance et notre adolescence, et tout le reste de notre vie. D’emblée, quand elle nous retrouve dans un hôtel près du Luxembourg, quartier où elle vit désormais, une paradoxale impression d’extrême familiarité nous saisit. L’oeil bleu ciel, le cheveu en bataille, le trench large, l’inséparable bouledogue français : c’est notre Jane que l’on retrouve, celle dont on a chanté les chansons, vu les photos de famille dans toute la presse, copié le style, que l’on a aimée chez Claude Zidi comme chez Jacques Doillon, Jacques Rivette ou Agnès Varda.
Le charme opère, passant de la légèreté à la gravité. Toujours sincère, généreuse. Elle révèle les coulisses d’une vie dans la lumière, hantées par la mélancolie, en publiant le deuxième tome de son journal intime, Post-Scriptum – période postSerge, période Doillon, qui lui ouvre les portes du cinéma d’auteur –, qui s’achève en 2013 à la mort de sa fille Kate Barry.
Vous publiez votre journal en deux volets, comme si vous aviez eu deux vies : la jeune Anglaise sexy et marrante avec Gainsbourg dans les seventies, puis début 1980, période Doillon, vous devenez plus sobre, vous affichez votre gravité, votre mélancolie, tournez des films d’auteur… Cette rupture, autour de 1980, diriez-vous que c’est la coupure la plus importante de votre vie ?
Jane Birkin — Je ne sais pas. C’était très spontané. Quand j’ai fait le Bataclan en 1987, Serge m’avait dit : “Mais tu vas faire un effort, mettre un peu de gloss…” Je lui ai dit qu’au contraire j’allais couper mes cheveux et m’habiller en garçon. Je voulais juste que l’on entende ma voix et ses chansons, pas que l’on me regarde comme une jolie chose. Ce dépouillement, j’y ai pris goût en effet avec Jacques Doillon, parce que pour tourner notre premier film en commun, La Fille prodigue (1981), il m’a fait enlever le maquillage, les jeans serrés, tous les attributs avec lesquels j’avais joué avant, pour me faire interpréter une femme en dépression… Je trouvais ça excitant d’être différente, ou plutôt de pouvoir être ce que j’étais vraiment, de ne pas avoir à divertir tout le temps – même si j’aime bien ça aussi. Je ne suis pas devenue sérieuse pour autant, mais ça paraissait un tournant sérieux par rapport aux films frivoles qu’on me demandait de faire avant. Après La Fille prodigue, les demandes étaient autres. Et ma vie privée coïncidait avec ça : vivre derrière les murs de ma maison rue de La Tour, ne plus faire de photos pour Paris Match avec mes enfants autour d’un barbecue dans le jardin... Tout cela n’enchantait pas Jacques – alors que ça avait enchanté Serge. C’était une tout autre vie.
Lorsque commence le second tome de ce journal, vous êtes donc devenue la compagne de Jacques Doillon et vous donnez naissance à une nouvelle fille, Lou. Est-ce que vous étiez heureuse dans ces annéeslà, au début des années 1980 ?
Oui, j’étais très heureuse. Même si le visage de Serge était omniprésent. Ce n’était pas si simple.
Vous éprouviez une forme de culpabilité de l’avoir quitté ?
Carrément, oui. Les personnes qui ont divorcé se reconnaîtront peut-être dans cette culpabilité. Pour moi, ne pas perdre Serge, qu’il reste dans ma vie, était une évidence, mais ce n’était pas dit qu’il le veuille aussi. Ce qui est extraordinaire, c’est que c’est à ce moment-là qu’il m’a écrit les chansons les plus belles, les plus déchirantes, comme Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve, Les Dessous chics…
L’album où elles se trouvent,
Baby Alone in Babylone, sorti en 1983, est un disque sublime…
C’est peut-être le meilleur disque que j’aie jamais fait. Ça coïncide avec sa détresse à lui. Il me la donnait à interpréter. Il m’a confié cette facette de lui qu’il ne montrait plus parce que lui, il était devenu Gainsbarre, ce personnage provocateur et clownesque. Il avait besoin d’exprimer sa peine à travers moi, qui en étais la raison…
Quand vous avez pris la décision de le quitter, vous aviez pensé au fait que vous ne chanteriez peut-être plus ses chansons ?
Les chansons, ce n’est vraiment pas ce qui m’a alors traversé l’esprit, il y avait des choses bien plus importantes (sourire).
La question était : est-ce qu’il allait vouloir rester mon complice ? Ce n’était pas sûr du tout, surtout venant de quelqu’un qui n’avait jamais été mon ami, mon confident. Qu’il ait vingt ans de plus que moi a peut-être fait qu’il a accepté… après tout de même quelques années…
Pendant lesquelles Serge était fâché avec vous ?
Pas fâché, mais complètement blessé. On a tous connu ça. J’ai connu ça avec John Barry. Quand quelqu’un vous quitte, vous ne pouvez pas passer tout de suite à l’amitié. Cependant, c’est ce qu’il y a de plus formidable, parce que ça dépasse tout. Rester dans son coeur, et qu’en plus il écrive pour moi a été un vrai privilège… Je ne l’avais pas complètement mesuré à l’époque. Je pensais qu’il me faisait chanter ses chagrins pour que je comprenne bien comme je l’avais fait souffrir. Peut-être qu’il y avait un peu de ça... Mais avec Baby Alone in Babylone, j’ai compris que j’obtenais la plus belle chose que je pouvais avoir, même si les chansons d’avant étaient charmantes. Quand j’étais en dépression il m’a écrit une chanson qui s’appelait Dépression, mais elle n’était pas très bien.
Vous avez fait une dépression ? Pendant l’année où vous étiez partagée entre lui et Doillon ?
Non, avant. Serge me disait : “Mais tu as tout !” Le côté marrant, sexy, qui avait été mon image à ses côtés, je ne me sentais plus tout à fait y correspondre en
“Ma vraie libération, je l’ai vécue à Paris, parce que tout à coup je me suis sentie acceptée comme une originale”
dépassant la trentaine. Mais ça, il ne pouvait pas le comprendre. Et puis, quand on est avec une personne aussi puissante que Serge, peut-être qu’à un moment on se rebiffe. J’en avais marre d’être traitée comme une petite. Jacques (Doillon) m’a permis d’exprimer que j’avais changé. Après La Fille prodigue, des personnes qui n’auraient jamais pensé à moi sont venues me chercher.
Comme Jacques Rivette ?
Rivette, c’est différent, parce qu’il avait une forme de fantaisie qui fait qu’il avait aimé La moutarde me monte au nez (Zidi, 1974). Il avait un côté très frais, très peu dans le jugement. Il était ravissant… Je crois qu’il aimait bien le mélange. Sur le plan films et théâtre, ma vie est devenue plus riche après, et Chéreau y est aussi pour beaucoup. Mais je suis très consciente d’avoir des limitations qui font que je ne peux pas faire des choses plus intéressantes que ça. Je me déçois moi-même quand je me vois… L’autre soir, j’ai revu Sept Morts sur ordonnance
avec Piccoli et Depardieu (Jacques Rouffio, 1974). Ils sont formidables, et moi, je suis juste jolie. L’accent et la voix haut perchée sont insupportables. Disons que j’ai fait du mieux que j’ai pu avec mes limites.
Dans La moutarde me monte au nez de Claude Zidi vous êtes très bien…
Géniale (elle rit ironiquement) ! Disons que ma prestation est regardable parce que c’est une comédie de situation, donc la voix haut perchée, c’est un peu grinçant mais ça passe. Avec Pierre Richard, on formait un couple tellement zinzin que c’était charmant.
La Piscine (Jacques Deray, 1969), c’est un bon souvenir ?
Non, mais pas à cause du film, que j’ai revu l’autre jour et qui n’a pas pris une ride, qui est magnifique. Mais moi, non. J’ai été desservie par mon manque d’audace : je n’ai pas osé enlever tout le maquillage, la frange, la minijupe… Du coup, je suis une petite caricature de teenager. Cela dit, c’est comme ça que
Jacques Deray me voulait, telle qu’il m’avait vue dans Slogan (son premier film français en 1969, sur le tournage duquel elle rencontre Serge Gainsbourg – ndlr), c’est pour ce côté directement importé du Swinging London qu’il m’avait choisie. Si j’étais restée en Angleterre, personne ne m’aurait rien demandé, je pense.
Même après Blow Up d’Antonioni (1966), où vous devenez un symbole de liberté sexuelle parce que vous y apparaissez nue ?
En Angleterre, je n’étais pas originale : j’étais juste une copie de Jean Shrimpton, de Twiggy, des filles très belles et très stylées photographiées par David Bailey. Le monde vivait intensément la révolution culturelle anglaise, les David Bailey, Terence Stamp avaient les clés de l’époque...
Vous les connaissiez bien, David Bailey et Terence Stamp ?
C’étaient des amis de John Barry. Ils étaient tous présents à ma fête