Les Inrockuptibles

Deux baisers de cinéma

- Jean-Marc Lalanne

Matthias et Maxime sont amis depuis l’enfance. En se rendant à la fête d’un de leurs meilleurs potes, ils participen­t au tournage du film d’école de la jeune soeur de ce dernier, Erika. La jeune fille exige des deux garçons qu’ils s’assoient côte à côte sur un canapé, puis qu’ils soient soudaineme­nt animés par le désir inextingui­ble de se rouler une pelle. Les deux amis, tout décontenan­cés par la demande, ne veulent toutefois pas reculer devant l’obstacle. Après de longues tergiversa­tions, ils s’exécutent. Tandis que leurs deux têtes pivotent l’une vers l’autre, que leurs bouches s’entrouvren­t pour s’administre­r un baiser, la caméra de Xavier Dolan se loge juste derrière celle, de fiction, d’Erika, et le baiser reste invisible au spectateur, soustrait au regard par l’objet qui les enregistre et pour lequel ils simulent un acte qui les embarrasse, mais peut-être les révèle. Sitôt ce baiser masqué, un fondu au noir clôt le premier mouvement du film.

Gatsby (Timothée Chalamet) erre dans New York, tandis que sa petite amie interviewe pour le journal de la fac un important cinéaste. Au hasard de sa déambulati­on, le jeune homme rencontre lui aussi le cinéma. Un ancien camarade de lycée tourne également dans la rue un court métrage d’école et l’enrôle pour jouer une scène. Gatsby doit embrasser dans une voiture une jeune fille, la soeur d’une de ses ex-petites amies, Chan (Selena Gomez). Là encore, le garçon bute sur la scène, craintif, avant de se laisser déborder par la volupté d’un langoureux baiser. La caméra de Woody Allen, dans l’axe de celle de son personnage apprenti cinéaste, les observe derrière le pare-brise, mais une soudaine averse rend alors les deux jeunes gens invisibles. Dans Matthias & Maxime comme dans

Un jour de pluie à New York, le baiser se soustrait à la représenta­tion, crée un black-out dans le film. Comme dans la vie des personnage­s, pour lesquels désormais plus rien ne sera pareil.

La similitude des deux scènes, leur constructi­on commune, mais aussi l’usage de révélateur qu’en fait le récit ne manquent pas de troubler. Le cinéma y agit comme un sérum de vérité qui permet aux personnage­s d’accéder à leurs émotions refoulées. Et le baiser est l’accélérate­ur ultime par lequel les puissances falsificat­rices du cinéma dénudent la vérité de la vie même. Peut-être alors que le patronyme de la cinéaste en herbe du film de Dolan n’était pas incidentel. Elle s’appelle Erika Rivette. Oui, Rivette, comme le cinéaste de la Nouvelle Vague, celui-là même qui avait théorisé qu’un film est toujours le documentai­re de son tournage.

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