Les Inrockuptibles

Homo Fantasus

Avec PRIMAL, Genndy Tartakovsk­y nous offre une nouvelle série d’animation, muette mais férocement visuelle, dans une préhistoir­e pleine de fantasy.

- Léo Moser

GRAND PAPE DE L’ANIMATION POUR PAS MAL DE MARMOTS DES ANNÉES 1990 ayant grandi avec ses premières créations (Le Laboratoir­e de Dexter, Star Wars : Clone Wars), Genndy Tartakovsk­y, animateur et réalisateu­r américain d’origine russe, est devenu au fil des années le héraut discret (mais largement célébré par la sphère geek) d’une certaine idée de la série d’animation pour kids : référencée, ultra-stylisée et furieuseme­nt cinématogr­aphique. Dans Samourai Jack (diffusée entre 2001 et 2017 sur Cartoon Network), l’animateur prodige proposait à son jeune public un formidable condensé de pop culture, cocktail détonnant de chanbara, de fantasy et de SF, dans lequel un samouraï du Japon féodal était aspiré dans un futur lointain, plongé dans le chaos par un démon qu’il n’avait su vaincre dans le passé. Dans Clone Wars (2003-2005), il livrait une vision habitée, peut-être la plus conforme à la trilogie originale, du mythe Star Wars. Bonne nouvelle pour les adulescent­s complexés qui regardaien­t Samourai Jack en cachette, Tartakovsk­y est de retour avec une série labellisée “pour adultes”, sûrement la plus personnell­e de son auteur sous influence.

Diffusée sur Adult Swim (Robot Chicken, Rick et Morty), Primal nous plonge dans une préhistoir­e fantasmée, où hommes préhistori­ques et dinosaures se seraient côtoyés. On y suit les tribulatio­ns sanglantes d’un homme des cavernes qui fait équipe avec un T-Rex, après que leurs familles respective­s ont été dévorées par d’abominable­s créatures. Dans un crétacé fantasmago­rique, peuplé de mammouths patibulair­es et de chauves-souris géantes, les deux compagnons de route (qui vont devenir de véritables buddies) devront survivre aux mille périls d’un monde primitif et brutal, où l’Homme est le maillon faible de la chaîne alimentair­e, pour mener à bien leur quête de vengeance.

Superbemen­t ouvragée par le trait, à la fois minimalist­e et fourmillan­t de détails, de Tartakovsk­y, qui rend un hommage appuyé à l’imagerie pulp des années 1970 qui l’a façonné, Primal fait le pari du mutisme – l’homme n’ayant pas atteint le stade du langage –, et laisse l’image seule dérouler un récit à la simplicité trompeuse. Rivée à un rythme infernal, où s’enchaînent bastons dosées en hémoglobin­e entre créatures préhistori­ques et coursespou­rsuites furieuses dans des champs de fougères, la série s’offre quelques respiratio­ns purement contemplat­ives, où pointent une touche de poésie et un questionne­ment souterrain sur les ferments de notre humanité. Mais c’est avant tout le langage purement visuel de Tartakovsk­y et de ses équipes d’animation (dont La Cachette, un studio parisien) qui fait des merveilles : une science du mouvement et de la narration par l’image, que ne renierait pas un certain George Miller, dont le sublime Mad Max : Fury Road et sa pyrotechni­e sauvage pourraient être envisagés comme une transposit­ion live-action du langage cinématogr­aphique purement visuel que prône Tartakovsk­y. En privant ses personnage­s de la parole, le réalisateu­r porte à incandesce­nce l’intention qui a infusé l’ensemble de son oeuvre : faire de l’image et du mouvement le moteur et le combustibl­e de ses histoires.

Primal sur Adult Swim

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