L’important c’est l’eros
Mixant philosophie et culture pop, la dessinatrice LIV STRÖMQUIST signe un essai aussi drôle qu’instructif sur l’engagement amoureux.
LIV STRÖMQUIST NE CACHE PAS CE QU’ELLE DOIT À KATHLEEN HANNA, la chanteuse de Bikini Kill et du Tigre, ou au punk en général. Depuis ses premiers fanzines, elle applique à la lettre son message et celui du do it yourself, soit s’exprimer sans prêter trop d’attention à la technique. Ses albums ne reposent pas sur des démonstrations de virtuosité mais plutôt sur la vivacité de son esprit et son talent à concevoir des essais graphiques au ton unique, à la fois badass et documenté, pop et satirique. Elle sait ainsi construire ses enquêtes en prenant comme point de départ un exemple tiré de la société du spectacle qu’elle va étendre vers des considérations plus universelles.
Ici, c’est l’incapacité de l’acteur Leonardo DiCaprio à connaître l’amour sur la durée – incapacité suggérée par un incessant cycle de fiançailles et de ruptures avec des mannequins – qui lui sert de premier fil directeur. Après s’être penchée sur l’organe sexuel féminin (L’Origine du monde) ou les causes de la domination masculine (I’m Every Woman),
Liv Strömquist mène son investigation sur le sujet de l’engagement amoureux, d’abord rendu difficile par la domination de la rationalité au détriment de l’élan passionné.
Si ses recherches se révèlent aussi jubilatoires, on le doit à l’humour ravageur de la Suédoise. Ainsi, elle écrit : “Etre amoureux c’est donc comme être complètement impuissant, sans bras ni jambes, une sorte de viande à kebab qui tourne sur elle-même (…).” Surtout, dans La rose la plus rouge s’épanouit, tourbillon étourdissant de dessins, de mots et de collages, l’autrice alimente son raisonnement en convoquant des références hétéroclites et éclairantes.
Elle emprunte leurs écrits à quantité de femmes et d’hommes de lettres – de Lou Andreas-Salomé à Georges Bataille en passant par la poétesse Hilda Doolittle ou le philosophe Byung-Chul Han –, transforme en cas pratique une émission de téléréalité, prend au mot la chanson Irreplaceable de Beyoncé ou revisite le mythe du fil d’Ariane. Absolument pas gratuites, ces citations donnent corps à une étude aussi éclairante que divertissante.
La rose la plus rouge s’épanouit (Rackham), traduit du suédois par Kirsi Kinnunen, lettrage Matthieu Rougé, 176 p., 22 €