Syndrome de Stallone
Adaptant une nouvelle d’Emmanuèle Bernheim, FABIEN GORGEART et CLOTILDE HESME trouvent le ton juste pour mettre en voix l’histoire d’une femme envoûtée par le héros de Rocky III
LES JARDINS SECRETS NOUS RENVOIENT À L’ENFANCE ET À CES COULISSES DE L’EXISTENCE où l’on s’invente des moteurs intimes qui nous font avancer dans la vie et qu’on se garde bien de partager avec les autres. Avec Stallone, le réalisateur Fabien Gorgeart et la comédienne Clotilde Hesme ont choisi un dispositif dépouillé, digne de la poésie sonore, pour cadrer sur une scène blanche et vide la confession d’une jeune femme partageant avec nous la révélation d’une passion pour l’acteur Sylvester Stallone, qui va transformer sa destinée suite à la découverte du film Rocky III (1982).
Une prise de conscience qui s’amuse du fameux syndrome de Stendhal et renvoie à l’émoi de l’auteur de
La Chartreuse de Parme qui, lors d’un voyage en Italie, a été atteint physiquement par le contrecoup du choc esthétique de la contemplation d’un trop-plein d’oeuvres d’art. Victime du “syndrome de Stallone”, Lise est amenée à remettre à plat la feuille de route de ses ambitions qu’une vie de couple sans relief avait remisées au placard. Tout change donc dans la vie de celle qui se comporte désormais en battante, reprend ses études en médecine et se met à la boxe, avant de rencontrer l’être aimé avec lequel elle aura deux enfants.
S’agissant de la très pudique mise à nu des états d’âme d’une femme de 25 ans qui se décide enfin à grandir en s’identifiant aux défis que se lance Rocky Balboa pour regagner le titre de champion du monde de boxe, le grand écart entre la réalité des actes accomplis et la fiction qui les inspire autorise une forme d’humour délicat qui sous-tend le récit tout au long de la représentation. Tandis que son partenaire, Pascal Sangla, ne quitte jamais la mini-régie installée sur le plateau pour interpréter au clavier les musiques inspirées par Eye of the Tiger de Survivor et donner voix aux proches qui interfèrent dans l’histoire, Clotilde
Hesme n’a besoin que de l’accessoire d’un micro sur pied pour évoquer avec brio la transformation de Lise en héroïne décidée à se reconquérir.
Vibrante d’une émotion qui lui embrume souvent les yeux, l’actrice n’oublie jamais que, au-delà de la tendre révolte de son personnage, cette vie qu’elle déroule avec une joyeuse énergie s’accorde à celle de son autrice, la scénariste et critique de cinéma Emmanuèle Bernheim, qui, comme Lise, sera vaincue par le cancer en 2017. Ainsi, en filigrane de ce que le spectacle nous donne à voir, la légèreté de cette fiction qui glorifie la liberté de prendre en main sa destinée ne cesse jamais de se teinter de l’injustice d’une réalité qui continue de décider pour nous de l’heure de vivre et de celle de mourir.
Stallone d’après Emmanuèle Bernheim, mise en scène Fabien Gorgeart, avec Clotilde Hesme et Pascal Sangla, jusqu’au 26 octobre, Centquatre, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris