Trois questions à…
Xavier Dolan, Juliette Armanet Lomepal, Assa Traoré et d’autres livrent leurs impressions sur la décennie
En 2009, leur oeuvre était encore embryonnaire ou confidentielle. Cette décennie a été la leur, leur parole s’est fait entendre avec force. A chacun.e.s nous avons posé trois questions pour savoir ce qu’ils et elles avaient retenu de cette période et comment ils voyaient la suite. Xavier Dolan, acteur et cinéaste
Depuis son premier film J’ai tué ma mère, réalisé à l’âge de 20 ans, Xavier Dolan, longtemps qualifié de jeune prodige du cinéma, traverse la décennie avec huit films, dont le dernier à l’affiche Matthias & Maxime.
En quoi les années 2010 t’ont-elles changé ? J’ai vécu un nombre incalculable d’expériences, de rencontres, de réussites et de déconvenues. Ces années, les premières de mon âge adulte, ont été les plus belles, les plus intenses de ma vie. A présent, je me demande comment vivre ma trentaine sans regretter ces années passées. Je pense en vivant autrement et autre chose.
Que retiens-tu des années 2010 ? Le monde se réveille. Les gens contestent et se confrontent aux systèmes en place. Ces systèmes demeurent pourtant assez immuables, et les phobies, les violences et les fascismes que l’on croyait apaisés ou disparus ont refait surface avec Twitter, Instagram, les réseaux sociaux. On a donné une voix à des gens qui n’en avaient pas forcément une avant – du moins, elle n’était pas publique. Ce n’est pas toujours une époque inspirante. Mais je garde foi en la jeunesse, et en la force de l’art, de l’écriture. Le pouvoir des mots, des images… Les images, c’est tout ce que l’on comprend désormais de toute façon.
Comment envisages-tu les années 2020 ? Il était une époque de ma vie où j’étais rempli d’espoir. A l’égard de la société, de l’environnement, de l’art. Je vois que l’art suit son chemin, et survit malgré les intempéries, même si le marché est ingrat et imprévisible. Mais je me demande où s’en va le monde. La jeunesse se mobilise, des personnes sensées s’expriment, revendiquent, militent. Mais les écoute-t-on vraiment ? Les gens de pouvoir les considèrent-elles ? Les estiment-elles ? Respecte-t-on vraiment la science et ce qu’elle nous apprend sur ce qui nous attend ? Je me pose toutes ces questions et ne peux, en dépit de mes rêves, mes idéaux, m’empêcher de ressentir une inquiétude, chaque jour, de moins en moins vague.
Propos recueillis par Bruno Deruisseau