Les Inrockuptibles

Juliette Armanet, musicienne

Révélée par un premier album chic et pop en 2017, la Lilloise est devenue l’une des chanteuses les plus populaires de l’Hexagone.

- Propos recueillis par Franck Vergeade

En quoi les années 2010 t’ont-elles changée ?

Ce sont les années où je suis devenue “Juliertte Armanet”. Des pieds à la tête. Je me suis comprise, accomplie et jetée dans le vide – ce sont un peu mes années folles (sourire). Ça a été un processus très très long, mais c’était intrinsèqu­ement nécessaire dans mon parcours. Je n’aurais pas pu faire ça à 25 ans, justement. Il a fallu attendre, m’attendre ! Je sens bien aujourd’hui que j’ai 35 ans, j’adore ça, je me préfère vraiment maintenant. Et puis, j’ai eu du bol, tout est allé au-delà de mes espérances, à commencer par enregistre­r un disque qui me plaise. Ce sont paradoxale­ment les concerts qui m’ont fait comprendre pourquoi j’avais fait cet album. C’était précisémen­t pour vivre ces moments-là, que ce soit à Strasbourg, à Magny-le-Hongre ou à l’Olympia. Sur scène, je me suis sentie complèteme­nt dans mon élément. J’ai appris aussi à jouer avec mon corps, à m’accepter un peu mieux, à plus rire de moi, à être un peu moins premier degré. Ça m’a fait du bien ! Ce sont des années où tout a changé pour moi, je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. C’est ma nouvelle vie. Pas de retour vers le futur !

Que retiens-tu des années 2010 ?

Les femmes ! C’est la décennie où nous avons clairement pris la parole. A tous les niveaux de la société. C’est un changement radical qui se ressent partout, en musique, en art, en politique, dans toutes les discussion­s de café et à tous les étages de la société. Enfin ! C’est un virage vertueux, car cette prise parole des femmes rejaillit sur toutes les autres identités, et ouvre en grand plein d’autres discussion­s, autour des hommes, des homosexuel­s.les, des trans. Nous sommes devenus, précisémen­t pendant cette décennie, une vraie génération politique. Evidemment, déjà, les attentats nous avaient malheureus­ement forcés à reprendre la parole, à se requestion­ner les uns les autres… J’ai le sentiment de vivre une époque assez décisive, et au fond, plutôt passionnan­te. J’étais un peu jalouse de mes parents qui avaient vécu les seventies à fond politiquem­ent. C’est peutêtre moins lumineux comme révolution, mais on a plus que jamais un rôle à jouer, on a de quoi parler, débattre, s’engueuler, et aussi, construire un futur différent ensemble. Il était temps ! Ça me plaît !

Comment envisages-tu les années 2020 ?

A titre personnel, j’espère une décennie pleine de surprises. Je suis curieuse de ce qui va sortir, ça m’intrigue ce nouveau disque. J’ai trop envie déjà de me surprendre moi-même, de m’amuser au maximum, de me découvrir des voies inconnues ! Le vrai inconnu, quoi. Et sinon, de manière plus générale, là, tout de suite, je pense à la série Years and Years, qui justement, pose sa caméra en 2030 et c’est édifiant. On y voit des ados qui veulent devenir des puces numériques, des migrants parqués dans des camps, des krachs boursiers à répétition, des espèces animales qui disparaiss­ent. Bref, c’est très, très noir. Sans jouer la madame Irma catastroph­iste, cela ne me semble pas du tout impossible que le monde prenne ce tournant infernal… On y est déjà en fait… Cette série d’anticipati­on a le mérite de nous pousser à nous interroger sur des points essentiels de nos vies. Qu’est-ce que l’on a envie de vivre et avec qui ? Comment aborde-t-on le monde, la nature, l’autre ? C’est loin d’être insouciant, et on souffre tous de ce poids qui moralise un peu chaque acte de nos vies, mais se sentir un peu responsabl­e du monde peut aussi donner beaucoup de force. Dans mon cas, ça me donne plus que jamais envie de chanter fort, de danser sans cesse, de partager des émotions de folie avec les gens.

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En 2017

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