Les Inrockuptibles

Lomepal, rappeur

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Avec la trilogie Flip, Jeannine et Amina, Antoine Valentinel­li, alias Lomepal, a cassé les barrières entre rap et pop française, malaxé les traditions pour inventer la bande-son de la jeunesse de la fin des années 2010.

En quoi les années 2010 t’ont-elles changé ?

Je suis tout simplement devenu un adulte. J’ai grandi et donc forcément changé. Ce qui a tout bouleversé, ce sont aussi les réseaux sociaux. J’ai pu sortir des clips qui ne coûtaient rien et sans passer par une major. J’ai commencé en traînant avec L’Entourage, dont je ne faisais pas partie parce que j’étais trop jeune. Mais c’était des potes. Ils me donnaient de la motivation. Puis j’ai enregistré ce featuring avec Nekfeu, A la trappe, ce qui ne m’a pas fait que du bien. J’exposais un travail non maîtrisé. On me mettait en lumière en étant mauvais. Ça m’a donné le désir de me venger, de prouver que je pouvais être plus fort. J’ai mis beaucoup de temps à me trouver. Avec Flip (2017), mon premier album, le but était de passer le cap du rap pour devenir un artiste tout court. Flip, c’est la première oeuvre accomplie. J’ai pris la pochette très au sérieux. Je voulais que ça soit comme pour Abbey Road, qu’on entende la musique en la regardant. Que ça devienne une musique que tu vois. J’ai pensé à ce truc d’ado, de se travestir, de ne pas se sentir bien dans sa peau. Je savais que ça allait choquer et tant mieux. Ça a fait le tri dans mon public en enlevant les gens fermés d’esprit qui ne m’auraient rien apporté. Ça a marqué le début d’un chapitre. J’ai eu cette sensation magnifique de partager ma musique avec

un grand nombre de personnes. Jeannine (son deuxième album paru en 2018 – ndlr) a encore mieux marché. Là, on a fait deux soirs complets à Bercy. Ensuite, j’ai peur de la redescente.

Que retiens-tu des années 2010 ?

Le rap est devenu un standard. Il a fallu vingt ans pour qu’il soit compris, digéré et aussi puissant que le rock. J’aime toute la scène américaine, que ça soit A$AP Rocky, Kendrick Lamar, Young Thug, Travis Scott, Kanye West, XXXTentaci­on. Plein de choses sont bonnes à prendre comparé aux années 2000. On a eu besoin de dix années pas terribles pour avoir soudain pleins de trucs intéressan­ts. En France, 1995 a donné envie à beaucoup de gens de revenir au rap hommage aux nineties. Les années 2010 sont aussi pour moi celles des rencontres. Il y en a tellement : Orelsan, Katerine, qui est si libre et avec énormément de charisme. J’ai vraiment appris à ses côtés.

Comment envisages-tu les années 2020 ?

Je travaille beaucoup pour rester stable. Ça fait deux, trois ans que je vis une

pression constante. Je ne me repose jamais vraiment. La dernière fois que je suis parti en vacances, c’était il y a un an, mais je rentrais pour la sortie de Jeannine, je n’étais pas détendu. Là j’aspire à ne plus avoir de projets et surtout à faire un break. J’ai envie de voyager tout seul. J’ai peur de la solitude, mais je vais le faire quand même. Ça va forcément m’apporter quelque chose. Je vais laisser mon portable. 2010 a marqué une nouvelle ère pour le net. Les gens ont désormais internet sur eux, et plus seulement chez eux. L’humanité entière s’est reprogramm­ée en fonction de ça. C’est flippant. Ce n’est pas naturel d’avoir son téléphone comme meilleur ami, mais je suis le premier à le faire. C’est pour ça que je veux tout quitter et partir. J’ai trop peur des conséquenc­es. Il y a de plus en plus de haine, sur internet mais aussi dans la rue. Je perçois une tension générale. Les gens sont dans une bulle et de moins en moins humains. Ça me fait flipper. On est une génération confrontée à une fin du monde potentiell­e. On n’est pas en guerre, mais on sent qu’une civilisati­on touche à sa fin. Où va-t-on aller ? Ma génération trouve super nulle la drogue alors que mes potes de 40 ans trouvent ça stylé de mettre de la coke sur une table en soirée. Pour nous, c’est la honte. C’est un parallèle qui a tout et rien à voir, mais les génération­s futures nous trouveront ridicules à être tout le temps sur nos écrans. Elles vont peut-être revenir à la nature. Je pense de plus en plus au temps qui passe. J’ai perdu des proches et ça me fait réfléchir. Je me posais moins ces questions auparavant. Finalement, la suite est assez floue pour moi.

Propos recueillis par Carole Boinet

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En 2018

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