Les Inrockuptibles

Assa Traoré, activiste

- Propos recueillis par Nelly Kaprièlian

Depuis 2016, la jeune femme se bat pour que la vérité soit établie et la justice faite sur la mort de son frère, Adama. Cette tragédie familiale, elle l’a écrite dans un livre politique Le Combat Adama, publié cette année.

En quoi les années 2010 vous ont-elles changée ?

La décennie 2010 n’a pas marqué ma vie, elle l’a bouleversé­e. Comme elle a meurtri ma famille. Nous avions un frère, un enfant, qui vivait là la force de son âge, qui rêvait de voyages, d’ailleurs, d’avenir et d’envies. Un joueur de foot, un homme qui faisait du bien aux siens, ses amis, sa famille. Nos vies ont basculé alors que la sienne s’est arrêtée brutalemen­t, injustemen­t, violemment. Adama est mort le 19 juillet 2016, le jour de son anniversai­re. Son tort a été d’être noir, de rouler à vélo, de fuir les forces de l’ordre parce qu’il n’avait pas sa carte d’identité sur lui, parce qu’il appréhenda­it de se retrouver en garde à vue un jour où il avait prévu de faire la fête. Il est mort asphyxié entre les mains des gendarmes, au XXIe siècle, en France.

Que retenez-vous des années 2010 ?

Ce drame a changé mon rapport au monde, parce que j’ai compris que l’égalité n’est qu’un mot, que la justice n’est pas la même selon où nous sommes nés, d’où nous venons. Qu’il faut encore se battre pour avoir droit à la vérité, qu’il faut prendre des coups pour être seulement traités avec respect. Je veux que le nom de

mon frère soit celui d’un combat pour le droit de vivre dignement, quelles que soient nos origines, la couleur de notre peau. Je veux que la vie d’Adama, qui a été trop courte, compte pour tout le monde. Je veux que cessent les violences policières, qu’il ne soit plus jamais “légitime” d’ôter une vie, au coin d’une rue, sur un rond-point, sans raison, froidement. Je crois que les mentalités peuvent changer, que la politique est une affaire de terrain, pas de discours, qu’il faut prendre ce qui nous revient, qu’il faut donner nos forces pour ceux qui viendront derrière nous. Il faut nous faire respecter. Il faut demander des comptes à la justice, aux autorités lorsqu’elles bafouent une vie. Il faut parler, il faut écrire, il faut étudier, il faut conquérir l’espace public, faire entendre nos voix.

Comment envisagez-vous les années 2020 ?

La décennie à venir est celle qui verra nos enfants, je l’espère, prendre les places qu’ils méritent en tant qu’adultes. Je crois que nous devons être les acteurs de notre histoire, je crois que la vie est précieuse. Pour tous. Au nom de mon frère, Adama, je me battrai pour ceux qui suivent. Et je ne plierai pas.

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En 2019

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