Les Inrockuptibles

CAHIER CRITIQUES

Dix ans après Everything Is New, l’Anglais JACK PEÑATE revient avec After You, un troisième album intense, teinté de groove et de ferveur gospel.

- Maxime Delcourt

A SON ARRIVÉE DANS LES BUREAUX PARISIENS DE SON LABEL, JACK PEÑATE semble être monté sur ressorts. Il enlace tout le monde, lâche des vannes, joue quelques notes sur le piano installé à l’entrée, et raconte la façon dont Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse, vu la veille, l’a compléteme­nt chamboulé. Clairement, l’Anglais, au visage toujours juvénile, semblable à celui d’un chanteur à la tête d’un boys band débarqué des nineties, déborde d’énergie. Quelques jours plus tôt, il a même retravaill­é intégralem­ent son troisième album, After You. Une relecture acoustique qui, dit-il, devrait sortir en début d’année prochaine. En attendant, c’est bien la version originale dont il souhaite parler, bien conscient d’avoir beaucoup de choses à dire pour justifier cette absence de dix longues années – un silence uniquement entrecoupé par l’anecdotiqu­e single

No One Lied en 2012 et la mixtape

A Thousand Faces, publiée l’année dernière. “Honnêtemen­t, je n’ai jamais eu peur que l’album ne se fasse pas, explique-t-il sur un ton soudaineme­nt plus mesuré, moins extatique. Ces dix dernières années, j’ai même écrit constammen­t, je n’ai jamais eu de panne d’inspiratio­n. J’attendais simplement de trouver une véritable histoire à raconter, je ne voulais pas que le disque soit une compilatio­n de singles comme Matinée (2007) ou simplement le témoignage d’un son plus cohérent et unifié comme Everything Is New (2009). Aussi, je voulais rencontrer des gens capables de m’aiguiller et de m’offrir de nouvelles perspectiv­es.”

Dans la foulée, Jack Peñate nous dit que le travail entamé aux côtés de David Byrne sur American Utopia (2018) l’a bien évidemment aidé à avoir confiance en certaines de ses idées. Mais c’est bien Arthur Russell qui semble avoir joué un rôle déterminan­t dans la conception d’After You, là où les deux précédents disques étaient davantage influencés par la musique de Jeff Buckley et Andrew Bird. “La façon dont Arthur Russell travaille ses morceaux a été une véritable révélation. J’aimerais être capable de créer un son qui redéfinit autant les choses, d’envisager la musique avec autant de liberté.” Si Jack Peñate, il est vrai, est loin d’être ce musicien mutant qu’incarnait le New-Yorkais au sein des années 1980, il n’en reste pas moins fascinant de constater avec quelle maîtrise et quelle intelligen­ce il a su faire évoluer son esthétique musicale au fur et à mesure des années. Un peu comme s’il avait fini par admettre qu’il ne serait jamais l’équivalent d’Adele ou Jessie Ware (comprendre : des pop-stars qu’il a partiellem­ent contribué à révéler), et qu’il commençait à l’assumer pleinement. Au point de s’autoriser tout un tas d’arrangemen­ts, des sessions d’enregistre­ment effectuées aux quatre coins du monde (notamment dans le sud-est de Londres et au Electric Lady de New York) et des inclinaiso­ns gospel qui apportent à sa musique une grâce nouvelle. “J’écoute beaucoup de gospel, et ça a toujours été le cas. Sur le précédent, j’avais fais appel à des chanteuses pour assurer les choeurs. Aujourd’hui, j’ai suffisamme­nt confiance en moi pour effectuer cela moi-même.”

Pour plaisanter, on lui suggère alors que l’époque se prête à ce genre de tentatives, que son disque fait finalement écho à Jesus Is King, et son visage s’illumine : “Oui, il faut croire que la période est propice au gospel, mais After You ne peut rivaliser

avec un album de Kanye West, le mec est tellement fort musicaleme­nt. C’est l’une des plus grandes pop-stars de notre époque.” Jack Peñate, lui, ne se verrait pas endosser un tel costume. Trop grand, trop lourd, pas assez rattaché à la vie quotidienn­e. Après quelques secondes de réflexion, il se dit même incapable de définir son nouvel album comme une oeuvre pop. “Ce terme est devenu beaucoup trop flou de nos jours. D’un point de vue purement historique, oui, je suis un artiste pop. Mais Migos ne l’est-il pas davantage que moi aujourd’hui ?

La trap n’est-elle pas la nouvelle pop ?”

Habité par ces questions, Jack Peñate s’est donc autorisé à avancer ici en toute liberté, à faire se chevaucher les styles sans jamais perdre en immédiatet­é. Sur After You, tout semble avoir été pensé de manière naturelle, sans faux raccords opportunis­tes. Parfois, sur Round and Round ou Murder, par exemple,

“J’attendais simplement de trouver une véritable histoire à raconter”

le Londonien s’entoure d’orchestrat­ions soignées et séduit grâce à des mélodies limpides, qui invitent presque l’auditeur à se lâcher sur la piste de danse. Parfois, comme sur le mélancoliq­ue Loaded Gun en particulie­r, il préfère simplement accompagne­r sa voix gracile de quelques notes de piano, et c’est merveilleu­x comme ça aussi. “After You n’est pas un album concept, mais c’est un disque qui traite en souterrain de plusieurs thèmes, comme la perte de l’innocence, la rédemption et cet espoir qui finit toujours par surgir.” C’est aussi un disque que Jack Peñate a souhaité enregistre­r auprès de ses proches, qu’ils soient identifiés au sein du paysage musical (Alex Epton ou Paul Epworth, producteur pour Lana Del Rey et U2) ou simplement membres de sa famille. Ainsi de ce Gemini, placé au coeur de l’album et accompagné par un poème de son grand-père autour de la gentrifica­tion à Londres. C’est beau, délicat, ça ancre le propos dans une contempora­néité, et ça rappelle au passage que c’est lorsqu’il délaisse les mélodies enjouées et revient à un style beaucoup plus dépouillé que l’Anglais porte le mieux son costume d’artiste pop. Qu’il le veuille ou non.

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(XL Recordings/ Wagram)
After You (XL Recordings/ Wagram)

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